«Ces 3000 noms, c’est pas du bluff»


A compter du 1er janvier 2010, le secret bancaire ne pourra plus faire obstacle à la communication à la France de renseignements, conformément aux standards de l’OCDE. Le point avec François D’Aubert, délégué général à la lutte contre les juridictions et territoires non coopératifs.

PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTIAN CAMPICHE

Comment jugez-vous la convention conclue entre la Suisse et la France en juin dernier?

François D’Aubert: La convention est un progrès important fait dans les deux sens sur le plan de la transparence. Mais elle ne constitue pas vraiment un précédent. En matière de blanchiment, la coopération entre la Suisse et la France fonctionnait déjà bien.

A quoi mesurera-t-on ce progrès?

On le mesurera aux statistiques des demandes de renseignement. Jusqu’ici elles étaient au point mort. L’administration française se heurtait à un mur. La nouvelle convention s’appliquera aux revenus imposables à compter du 1er janvier 2010. Les demandes de renseignements pourront donc intervenir rapidement.

La France n’a pas attendu le 10 janvier pour demander 3000 noms à la Suisse…

Le problème est différent. Ces 3000 noms sont le résultat de renseignements fiscaux et de déclaration de deux banques installées en France. Présentés par le ministre du Budget, ils sont tout à fait sérieux, ce n’est pas du bluff.

Justement, certains en Suisse doutent du sérieux de cette liste.

C’est l’argument de certains avocats fiscalistes qui peuvent avoir intérêt à semer un doute.

Vous voulez parler de banques suisses?

Peut-être, des banques suisses implantées en France, mais je ne peux pas dire lesquelles. Ces renseignements n’ont pas été obtenus par des moyens extraordinaires ni des voies douteuses, ils sont respectueux des textes en vigueur.

Les banques suisses ont donc jusqu’au 10 janvier 2010 pour convaincre leur clientèle de se mettre en conformité avec les dispositions de la convention. Que risquent les clients dans le cas contraire?

Le risque ensuite est de faire l’objet d’un contrôle qui le cas échéant, pourra impliquer, outre le paiement d’arriérés d’impôts et des pénalités, l’engagement de poursuites correctionnelles pour fraude fiscale. Ces contrôles seront facilités par le fait que la Suisse ne fera plus de distinction entre fraude et évasion fiscale pour l’échange d’informations bancaires à des fins fiscales.

Les clients ont-ils la possibilité de faire recours?

Il existe actuellement une cellule de régularisation fiscale qui fermera ses portes le 31 décembre prochain. Cette cellule ne propose pas d’amnistie, cela étant elle apprécie la situation générale du contribuable pour l’application des pénalités, s’il a personnellement placé l’argent à l’étranger sans le déclarer ou s’il a été mis devant le fait accompli, un problème de succession par exemple. Au-delà du 1er janvier 2010, on tombe sous le régime du contrôle fiscal qui pourra être assorti de poursuites pénales le cas échéant. Le but n’est pas de pénaliser mais de régulariser les personnes qui sont en situation de fraude ou d’évasion fiscale proactive. L’argent qui n’est pas déclaré ne respecte pas la loi française.

Vous confirmez que l’échange d’informations ne sera pas automatique?

Oui, le texte signé est conforme aux standards de l’OCDE. Quand la France demandera une information bancaire à usage fiscal, elle apportera à la Suisse les noms, les adresses et les motifs mais il ne lui appartiendra pas de désigner la banque. Vous me rétorquerez qu’il y a 300 banques en Suisse mais je n’ai pas l’impression qu’il s’agira de rechercher une aiguille dans une botte de foin. Encore une fois, l’échange d’informations dans les affaires de blanchiment montre que la collaboration peut très bien fonctionner.

Que reste-t-il du secret bancaire helvétique après tout ça?

Les choses changent, c’est vrai. On assiste dans beaucoup de pays à un sérieux recul du secret bancaire et de sa protection, la Suisse ne fait pas exception à cette évolution. Une chose est certaine, il ne pourra plus être invoqué pour refuser toute coopération en matière d’évasion fiscale. La possibilité de lever le secret bancaire existait déjà dans les cas de blanchiment. A noter, au chapitre du blanchiment, qu’une directive européenne est entrée en vigueur en France en 2009. Elle prévoit une sérieuse extension de la notion de soupçon pour des faits susceptibles d’être qualifiés de fraude fiscale. Nul doute que le climat changera encore au niveau européen.

Vous trouvez juste que certains paradis bancaires comme Singapour pourraient prendre la place de la Suisse?

On parle en effet de transferts de fonds de la Suisse vers Singapour. La préoccupation de la Suisse est légitime. Mais l’idée de l’OCDE est bien de parvenir à un maillage au niveau des conventions. Singapour est sur la liste grise de l’OCDE est fait donc l’objet de la même attention que la Suisse en matière de coopération à des fins fiscales.

Vous croyez que l’on y parviendra à l’échelle de la planète?

A moyen terme, oui, car la pression du G20 est très forte. La conjoncture contraint les Etats à lutter contre l’opacité financière pour récupérer des recettes fiscales légitimes. Il va de soi que la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale pro-active est un combat de longue haleine dans la mesure où les fraudeurs utilisent des montages souvent très complexes. Les fonds ainsi récupérés viendront utilement abonder les budgets des Etats mais probablement pas dans une proportion permettant de combler du jour au lendemain les déficits budgétaires…

Interview parue dans “La Liberté” du 10 septembre 2009

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Un commentaire à “«Ces 3000 noms, c’est pas du bluff»”

  1. Le passant ordinaire 12 septembre 2009 at 07:52 #

    Les Français sont des gens très capable en ce qui concernent la manière de planquer de l’argent en Suisse.

    En général les comptes numérotés ont été très souvent ouvert par les grands parents dans la période d’avant guerre, c’est-à-dire lorsque Léon Blum était aux manettes.

    Durant la période des 30 glorieuses ils ont continué à exporter leurs francs français pour les placer en francs suisses. A toute fin utile sachez que vers les années 60 les francs français s’échangeaient sur la base de SFR.85 pour FF.100 pour terminer tristement à SFR.25 pour FF.100 avant le passage à l’euro.

    Les Français ont appris à vivre avec l’inflation, les impôts, le socialisme de Mitterrand et maintenant avec le cannibalisme fiscal à la sauce Sarkozy et appliquée par son acolyte l’Alsacien Woerth.

    Méfiant ils choisissent des établissements bancaires privés, des banques cantonales n’employant pas de frontaliers ou de Français domiciliés en Suisse. Ils n’ont pas nécessairement des comptes à Genève ou Lausanne mais dans l’ensemble de la Suisse.

    Les plus fortunés possèdent des immeubles enregistrés sous la forme de société immobilière et n’apparaissent pas dans le Registre du commerce.

    Avec les accords de Schengen il est très facile de sortir de France avec des euros en liquide car les frontières ne sont plus contrôlées comme elles le furent par le passé.

    D’où provient cet argent : épargne, paiements au noir, pots de vin, évasion fiscale, là n’est pas la question. Le fait est que comme par le passé les Français de la moyenne bourgeoisie n’ont aucune confiance dans les autorités en place que ce soit sous Mitterrand, Chirac et actuellement Sarkozy.

    Pour ce qui est du contrôle des liaisons téléphoniques ils utilisent les cabines publiques et se servent de pseudonyme lorsqu’ils parlent avec leur banquier.

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