Des derricks, du Bodan au Léman

Helvète lève ton bras pour mater ces menteurs!

PAR CHRISTIAN CAMPICHE

Ces géographes, ces statisticiens, ces régents de province qui n’ont de cesse de faire croire que la Suisse n’a pas de matières premières, encore moins de gaz naturel. Ils ont tout faux, les braves érudits. En réalité peu de chose distingue le territoire situé entre le Bodan (région du lac de Constance, Bodensee) et le Léman du Texas. L’Amérique avec ses derricks, ses autoroutes à six voies. Et si la Suisse mutait tout à coup en eldorado de l’or gris?
La chose n’est pas impossible comme le montre notre infographie inédite. La carte des sondages gaziers en Suisse ressemble à un croissant épousant les contours du Jura. Dopés par la hausse des prix des produits pétroliers qui rentabilisent les sondages les plus audacieux, plusieurs groupes internationaux y ont planté leurs dents. Les Suisses de Petrosvibri, les Britanniques d’Ascent et de Celtique, les Américains de Schuepbach. Ces derniers ont débarqué en 2008 dans le canton de Fribourg. A lire «La Gruyère» du 26 mai 2009, ils convoitent carrément les terres de Bossonnens, Attalens et Granges, en Veveyse fribourgeoise. Dans les communes concernées, les responsables jurent qu’ils ne sont pas au courant, mais cela n’a pas d’importance. Le canton a octroyé un permis de recherche, confirme Hubert Dafflon, chef du Service de l’aménagement et des constructions, et c’est l’essentiel.

La lune sous le Léman

Fondateur et actionnaire de la compagnie gazière suisse Seag, sise à Langnau am Albis, Patrick Lahusen répète une évidence depuis trente ans mais on le prend toujours pour un cinglé: «Nous sommes entourés de régions où l’on extrait du gaz. Il y en a dans le Bassin viennois, en Alsace, dans le sud de l’Allemagne et dans la plaine du Pô. Pourquoi la Suisse serait-elle différente? Pourquoi, dans les écoles, on enseigne aux enfants qu’il n’y a rien dans le sous-sol suisse?» Ancien banquier au Credit Suisse, Patrick Lahusen est un pionnier. Il y a très longtemps, il s’était associé à Eric Giorgis, ex-mentor des gaziers helvétiques, dans un projet visant à extraire de l’or gris de la réserve des Grangettes, près de Villeneuve. «Mes partenaires avaient trouvé le risque trop élevé, nous avons abandonné.»

Canards, hérons et libellules ont eu chaud. Pour mieux souffrir aujourd’hui? Des forages gaziers ont débuté en décembre 2009 sous la houlette du groupe vaudois Petrosvibri, à quelques flaques des Grangettes, dans la commune de Noville. Plusieurs dizaines de millions de francs ont été investis dans ce projet ambitieux qui vise à débusquer la lune sous le Léman. Les prévisions les plus optimistes des géologues font état 35 milliards de mètres cubes de gaz naturel, dix fois la consommation annuelle du pays. Un rêve que la flambée des prix du pétrole a rendu accessible. La technologie aussi, qui permet la modélisation 3D du sous-sol.

Sur le terrain le géologue Werner Leu fait le point: «Les travaux avancent. Nous nous trouvons à 1800 mètres de profondeur. Pas encore de résultat en vue». Mandants du forage, Gaznat et Holdigaz se donnent jusqu’à l’été pour déterminer s’il y a du gaz exploitable sous le Léman.

Sondage bernois

Patrick Lahusen envie un peu ses collègues vaudois. Pour une fois, les Romands ont été plus rapides. Un comble quand on sait que Petrosvibri était sa création à lui. Lahusen possédait autrefois le groupe Swisspetrol dont Petrosvibri était une filiale. A Hermrigen dans le Seeland bernois, le financier zurichois a remis ça. Seag s’est associée avec les anglais d’Ascent Resources dans l’intention de rechercher du gaz naturel. Le sondage devait démarrer l’an dernier mais il lui manque les derniers deniers destinés au financement du projet. Sollicité, le canton de Berne accordera vraisemblablement la concession sans mettre pour autant la main au porte-monnaie. Ce qui n’empêche pas le quotidien «Der Bund» d’envisager le début des travaux de sondage dans le courant de l’automne prochain.
Pour l’instant encore réservées, rendues prudentes par les échecs du passé (40 forages abandonnés, arrêt de l’exploitation à Finsterwald en 1994), les collectivités publiques verront-elles leur prise de conscience stimulée par des perspectives fiscales alléchantes au chapitre des redevances de concessions? S’il est vrai, comme le prédisent les experts, que 15 milliards de mètres cubes de gaz gisent dans le sous-sol biennois, la manne annuelle s’élèverait à 450 millions de francs. «Dont 45 millions cash dans la seule caisse du canton de Berne», estime M. Lahusen.

On peut aussi se demander quand la Confédération se sentira enfin interpellée par la prolifération des derricks sur le Plateau helvétique. Pour l’instant, les services de Moritz Leuenberger jouent toujours à saint Thomas. Au député UDC Christoffel Brändli qui s’inquiétait en 2006 de sa léthargie dans le domaine, le gouvernement rétorquait que la recherche et l’exploitation des ressources du sous-sol étaient du ressort des cantons. «Le Conseil fédéral renonce à apporter un soutien financier à l’extraction de gaz naturel», concluait le document daté du 14 février 2007. «Notre position n’a pas changé, c’est aux milieux économiques de déterminer si la prospection est rentable», précise le porte-parole de l’Office fédéral de l’énergie, Mathieu Buchs.

Reste que si du gaz naturel était découvert dans la quantité espérée à Noville ou à Hermrigen, l’autosuffisance de la Suisse serait largement assurée. La politique énergétique du pays en serait forcément chamboulée. Et Berne contrainte à sortir du bois.

Article paru dans “La Liberté” du 26 janvier 2010

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