Sarkozy-Hollande, ce n’est pas blanc bonnet, bonnet blanc


A propos des élections françaises, un certain nombre de commentateurs ont parlé d’une campagne sans relief où les thèmes de fond ne seraient pas traités et d’où n’émergerait aucune proposition de nature à apporter de vraies solutions aux problèmes de la France.

PAR BERNARD WALTER

C’est une façon de voir qui me paraît superficielle. J’ai trouvé au contraire cette campagne extrêmement intéressante. Déjà parce qu’elle se déroule dans un contexte bien particulier, à savoir donc ce qu’on appelle «la crise».

Et cette «crise», on sait bien qu’elle n’est pas liée à un malheureux coup du sort. Nous vivons sous un régime financier (de fait une dictature aux ramifications planétaires) dont les plus brillants économistes savent peut-être expliquer les ressorts, ce qui n’arrange en rien les affaires des millions (on devrait dire des milliards, mais ce genre de dimension dépasse l’entendement) de victimes de ce système.

Alors non, la France n’est pas affectée d’une maladie honteuse due à l’incurie de ses politiciens. Elle est simplement prise dans ce maelström. Et ce n’est pas un pauvre président qui comme nous n’a qu’un nez, deux yeux, quatre membres, plus le reste, quel que soit son pouvoir, qui y changera grand chose.

Ce qui me fascine dans un moment aussi critique de l’Histoire, c’est que tout d’un coup, chaque citoyen du pays devient acteur de quelque chose. Le sentiment lui est donné qu’il a prise sur sa situation existentielle, qu’il va pouvoir décider, et que de sa décision va dépendre son avenir.

Derrière cette élection que commente et comptabilise le journaliste du haut de son bureau, il y a les tonnes d’angoisse du lendemain et les difficultés insurmontables d’un grand nombre de gens de par tout le pays. Des gens profondément concernés par le processus en cours, des gens à qui tout d’un coup l’on parle, que tout d’un coup l’on courtise. Des gens qui tout à la fois ne sont pas concernés, parce qu’ils n’ont plus confiance, parce que rien ne changera. Des gens partagés entre quand même des bribes d’espoir et un sentiment qu’ils n’échapperont pas à la fatalité de leur sort grisailleux.

Quant aux candidats, force est de voir que l’heure des campagnes est aux promesses. Et plus le candidat est gros, moins il a de marge pour la vérité. Les deux candidats mammouths, ceux qui disposent d’une véritable machinerie de guerre pour soutenir leur campagne, sont condamnés à l’équilibrisme. Ils doivent répondre à tout, eux qui ne maîtrisent rien.

Pourtant, je ne crois pas, comme certains le disent, que Sarkozy-Hollande, c’est blanc bonnet,  bonnet blanc. Sarkozy a beau s’agiter dans tous les sens, il n’a pour tous arguments que des déclarations d’intention contredites par ses cinq années de présidence, et les harangues contre Hollande qui incarnerait le chaos. Alors que Hollande a manifesté clairement sa détermination à redonner une moralité et un fonctionnement raisonnable au système financier, bancaire en particulier. Je crois par ailleurs que Hollande n’est pas à l’aise dans la posture du tribun. Il y a chez lui un côté un peu terne qui ne plaide pas vraiment en faveur de la malhonnêteté.

Dans l’ordre de l’infiniment petit, ce que j’ai trouvé fascinant, c’est de voir ces dix candidats qui représentent les aspirations de la population. Ces dix candidats qui s’affrontent dans un tel contexte d’incertitude et de drame, chacun avec son image et son charisme. On se croirait un peu à une foire avec les deux gros stands, trois stands moyens et cinq petits stands. Et autour d’eux, le monde. Les gens ne votent pas que pour un discours rationnel, ils votent aussi pour l’image et pour le camelot. Il y a là de tout. Joly qu’on pourrait imaginer en personnage de Beckett avec ses lunettes vertes et son parler nordique un peu surréaliste au pays de la belle langue française, Poutou, à qui on a envie de faire des bisoux tellement il est chou, l’ahuri Cheminade et ses délires de voyages sur Mars, et ainsi de suite.

Dans le lot des candidats, les trois «poids moyens» ont donné beaucoup de punch à la campagne. Deux personnages, indépendamment de leur interprétation du monde, crèvent l’écran, ce sont bien sûr Le Pen et Mélenchon, et leur score respectif démontre bien qu’ils ont obtenu le prix du public. Ah si madame Royal avait eu un peu de leur talent, quel plaisir on aurait eu à fêter sa victoire en 2007! Quant à Bayrou, son score reste étonnant: alors que depuis cinq ans on ne l’a plus beaucoup revu, nombre de gens continuent à lui faire confiance.

Difficile de dire quelque chose des médias de masse, tant ils sont restés égaux à eux-mêmes. Chez nous en Suisse, les rangs se sont resserrés en une union quasi sacrée autour du système qui consacre le pays comme le modèle du sérieux et du bon fonctionnement. Ce qui bien sûr explique  que nous ne sommes pas la Grèce ou l’Espagne, ni même la France! Dans «24 heures» du 17 avril, Jean-Noël Cuénod se livre à un véritable hymne à la Suisse, sa richesse, sa prospérité et son système de formation, pour mieux dénoncer les discours de MM. Hollande et Sarkozy qui font de notre pays le «bouc émissaire de la campagne présidentielle» parce qu’ils parlent d’évasion fiscale. (Il est vrai que dans la bouche de Sarkozy ce genre de discours n’a pas vraiment le parfum de l’honnêteté).

Et puis il y a le moyen médiatique le plus visible, si l’on peut dire, la télévision. Et là, on n’a pas assez dénoncé l’attitude de l’animateur de l’émission à grande audience «Des paroles et des actes», où chaque candidat a eu droit à son examen de passage. Pujadas, pour ne pas le nommer, a fait de l’émission un moment de show télévisé, se donnant un rôle qui n’était pas le sien, interrompant à tout moment son interlocuteur au mépris de toute déontologie journalistique,  au mépris du candidat qu’il avait en face de lui et au mépris du citoyen que l’on manipule en manipulant les entretiens. Ces manitous de l’audiovisuel sont placés là pour faire de l’information peut-être, pour inciter le public à  penser convenablement, en tout cas.

Place maintenant au dernier acte. Puisse la fatalité éviter à la France une reprise de la potion Sarkozy pour cinq ans. Cinq ans de plus de ce théâtre mensonger, les Français ne vont quand même pas s’infliger ça!

 

 

 

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