Pourquoi la presse ment-elle autant sur elle-même?

Alors que les journaux demandent sans cesse aux particuliers et aux entreprises de dire toute la vérité, la presse ne cesse de cacher ses turpitudes.

PAR IAN HAMEL

À la fin du mois d’août, Annick Chevillot, rédactrice en chef de “Femina”, le supplément du «Matin Dimanche», le principal hebdomadaire romand, annonce qu’elle quitte son poste. Elle informe de son intention de «donner une nouvelle orientation à son parcours journalistique», moins de deux ans après avoir pris ses fonctions.

Aucun média ne s’est penché sur ce départ précipité. Annick Chevillot avait succédé à Renata Libal. Deux femmes aux styles, caractères, modes de vie totalement différents. Les relations sont devenues si mauvaises entre Peter Rothenbuehler, ancien rédacteur en chef du «Matin» et adjoint d’Eric Hoesli, directeur éditorial de Tamedia Publications Romandes, et la rédaction de «Femina» que c’est Eric Hoesli qui a été contraint de venir tenter d’écoper cet important dégât des eaux. Sans grand résultat d’ailleurs. Guère préoccupé par la presse féminine, Eric Hoesli n’a pu que proposer que l’hebdomadaire romand devienne un féminin pratique à l’image de Madame Figaro…

Licenciements sans explications  

Le plus grave, c’est que la presse, qui fait vocation de dire la vérité, et se prétend toujours prête à harceler chefs d’entreprises et particuliers qui ne lui ouvriraient pas les bras, se refuse toujours à informer ses lecteurs sur ses propres turpitudes.

Ainsi, Eric Hoesli, devenu patron des quotidiens romands d’Edipresse, tombés sous la coupe du groupe alémanique Tamedia, n’a pas senti la nécessité de s’expliquer sur le limogeage en 2010 de Michel Danthe, rédacteur en chef du «Matin Dimanche». Imagine-t-on en Suisse la mise à pied du patron d’UBS ou de Nestlé sans aucune ligne de commentaire?

Vivre dans la terreur

Il est vrai que Michel Danthe s’était lui-même débarrassé du jour au lendemain d’Olivier Grivat, un journaliste talentueux et connu, après trente ans de bons et loyaux services chez Edipresse. Pas une ligne non plus dans la presse n’a accompagné le licenciement, tout récemment, d’un rédacteur de ce même groupe, devenu Tamedia, à l’âge de 63 ans. Ce journaliste avait simplement eu le tort de dire ses quatre vérités à Eric Hoesli.

Il est vrai que toutes les rédactions, de la «Tribune de Genève» à «24 Heures»,  vivent dorénavant dans la terreur. «À côté d’Eric Hoesli, Théo Bouchat, son prédécesseur, passerait presque pour un poète et un mécène. L’objectif n’est plus de faire du journalisme mais de rapporter un maximum d’argent aux actionnaires de Tamedia», ironise un cadre de l’entreprise.

L’échec financier du «Temps»

Cette censure n’est guère étonnante. À l’exception de l’ouvrage «Info popcorn. Enquête au cœur des médias suisses», de Christian Campiche et Richard Aschinger (*), personne n’avait jamais osé raconter que ce n’était pas tant le «Journal de Genève» qui perdait des millions de francs chaque année, mais plutôt le «Nouveau Quotidien».

Ensuite, des centaines d’articles ont tenté de faire croire à partir de 1998 que le «Temps», né de la fusion du «Journal de Genève» et du «Nouveau Quotidien», allait être diffusé dès sa première année à 70 000 exemplaires et qu’il équilibrerait immédiatement ses comptes. Seulement voilà, 14 ans plus tard, malgré d’indéniables qualités, et des journalistes de talent, le «Temps» ne vend qu’à 42.000 exemplaires et continue à perdre de l’argent. Tentez seulement d’Imaginer ce que l’opinion publique penserait d’une entreprise qui mentirait ainsi, avec autant d’aplomb, depuis tant d’années…

 

(*) Éditions Eclectica, 172 pages.

 

 

 

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2 commmentaires à “Pourquoi la presse ment-elle autant sur elle-même?”

  1. Arnaud 10 septembre 2012 at 15:51 #

    Je constate que vous connaissez très bien la culture journalistique du pays, pour moi qui n’en connaît que très peu à ce sujet, c’est assez impressionnant.

    Je pense cependant qu’il est assez normal que ce genre d’informations ne soient pas publiées, les journaux doivent, comme vous connaissez les autres journalistes, cherchez à protéger leur intégrité et leur image, plus que des patrons de grandes entreprises. Pour ces raisons je suppose qu’ils ne parlent pas nécessairement des licenciements, même aussi grand en conséquence que celui du dit Olivier, que par ailleurs je ne connaissais pas.

    Il semblerait que du moment que le peuple possède une certaine forme d’information, il se moque de sa provenance. Je comprends cependant votre vision et dans un monde idéal, ce genre de faits devraient être expliqués aux lecteurs.

    Paix sur vous.

  2. Marc Schindler 10 septembre 2012 at 23:54 #

    C’est malheureusement vrai et pas seulement en Suisse. Pour comprendre comment Le Monde a passé sous la coup des financiers BNP (Berger, Niels et Pigasse) et comment la société des rédacteurs a perdu le pouvoir d’élire son directeur, ne comptez pas sur le “quotidien de référence”. Lisez plutôt le site Mediapart ou l’excellent livre de l’ancien directeur du Monde Eric Fottorino : “Mon tour du “Monde”.

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