Remue-ménage lausannois (2)


Lausanne, décidément… Il vient de s’y produire une crise politique nette et tranchée, qui ne détonnait pas trop des couleurs saturées de septembre.

PAR PIERRE KOLB

Une crise parfaitement inattendue, du moins sous cette forme d’un puissant hoquet de la gauche plurielle qui vient, peut-être, de lancer son chant du cygne de coalition tripartite. Mais reprenons. En remontant jusqu’où, au fait? Jusqu’à l’impair de Daniel Brélaz, syndic, qui a lâché au début de cet été qu’on peut faire mieux en matière de sécurité à Lausanne, gros caillou dans le jardin du popiste Marc Vuilleumier, responsable de la police? Ou remonter jusqu’à l’élection municipale de mars 2011, qui a vu, outre l’arrivée de deux nouveaux socialistes Florence Germond et Grégoire Junod, la réélection brillante, au deuxième rang, de Marc Vuilleumier? Ses prédécesseurs à la police, une radicale et un popiste, avaient, eux, mordu la poussière.

En rester à cet été risque de privilégier le spectacle, remonter à 2011 permet de cerner un enjeu partisan lourd, dont la «BlitzKrise» de la semaine dernière n’est qu’une péripétie. Les deux choses sont intéressantes.

La péripétie a cet aspect sensationnel d’un homme d’exécutif qui dépose une charge, la police, très logiquement parce qu’il est lâché par ses alliés politiques, mais n’abandonne pas son mandat, et personne ne peut l’y contraindre. Du jamais vu? N’exagérons pas. C’est rare, mais certaines affaires sont restées dans les mémoires, tel, sous la Coupole, le cas dans les années 70 de Kurt Furgler, dessaisi du dossier de l’avortement. Ses convictions le faisaient prendre le contrepied de solutions acceptables pour le Conseil fédéral. De même, aujourd’hui, le popiste lausannois ne pouvait plus suivre le virage sécuritaire de la municipalité. La différence est que personne, à l’époque, n’avait demandé la démission de Furgler. Il était de droite.

La droite lausannoise, aujourd’hui, doit surtout regretter d’avoir demandé la démission du popiste avant la surprise de son auto-dessaisissement. Ces gens n’ont plus eu ensuite qu’à repasser leur disque plus fort. Mais l’hypocrisie est patente, a fortiori celle de médias qui en ont rajouté.

Cette tournure des événements rend logique la déconvenue de la droite, d’autant plus que le succès du référendum contre la reconstruction du Parlement avait de quoi galvaniser une partie des troupes. Une élection partielle aurait permis à un cacique de la droite classique de rééquilibrer la municipalité. La gauche risquait de défendre mollement ses acquis, n’étant toujours pas à l’aise avec sa majorité à 6 contre un. S’il est vrai que Marc Vuilleumier avait été brillamment réélu en 2011, aidant son parti à résister à une pente de déclin, il est aussi vrai que les 11% de cette formation la maintiennent comme cible privilégiée de la droite. Les choses se seraient jouées maintenant, les socialistes comme les verts eussent été capables d’en prendre leur parti. Par son coup d’éclat, Marc Vuilleumier a remis la grande explication à un moment pour lui plus opportun, en principe à la fin de la législature. Ce qui devrait être, pour tous les autres, beaucoup plus délicat.

Ses «amis» politiques cherchaient-ils donc à faire partir le popiste? Ce n’était probablement pas un objectif, mais on ne se gênait pas pour lui imposer un virage sécuritaire qu’il n’approuvait pas, tout en devant l’assumer au titre de responsable de ce dossier.

La dégradation de la sécurité publique – les nuits agitées, les cambriolages, les vols à la tire, le règne des dealers de rue – alimentait les conversations au point d’inciter la majorité à prendre des mesures, sans avoir des recettes bien différentes que celles de la droite. Ce n’était pas trop gênant du moment que le popiste héritait de la patate chaude. Et l’on dit qu’à ce stade de surenchère sécuritaire Grégoire Junod n’était pas vraiment passif.

Grégoire Junod est un personnage. A quel moment, dans ce Parti socialiste frustré d’avoir perdu la syndicature il y a une bonne décennie, l’a-t-on considéré comme le futur syndic? On dit que Pierre-Yves Maillard l’a adoubé, et une oreille médiatique complaisante a fait suivre. Cette prédestination n’a pas l’air de gêner ce fils de pasteur.

Quant à la filiation idéologique, elle ne fait pas de doute. Ses interventions et son activité de président de groupe au Grand Conseil, bien calibrées, étaient tout à fait le genre de la maison. Un journaliste se souvient de sa perplexité le jour où il avait interrogé le même jour, tour à tour, PYM et Junod sur le même sujet: diable, lequel des deux avait dit ceci, lequel cela? Semblable comportement avait valu ailleurs, naguère, le surnom de «papier carbone» au lieutenant d’un leader politique. Sur les rives du Léman, le sens critique ne semble pas développé au point qu’on l’appelle «copié-collé».

Bien mis en selle, donc, notre Grégoire Junod, sans avoir encore rien prouvé au plan d’une tâche exécutive. Et lorsque se profile l’élection à la municipalité lausannoise, une scénographie médiatique allait servir son lancement, d’article en article: allait-il poser sa candidature à la municipalité, quand allait-il…? Redoutable suspense. Et bien sûr c’est arrivé. Sa colistière Florence Germond, qui pourtant allait le coiffer au poteau le jour de l’élection, n’a pas bénéficié de la même mise en condition.

Lorsque vient l’attribution des dicastères, Grégoire Junod prend le logement et la culture. Des sinécures? Non, mais avec ces attributions, le boulevard de la syndicature lui est ouvert. Florence Germond s’engageant de son côté aux finances, peut s’attendre à un parcours plus escarpé.

La vie continue, pépère, où on voit M. Futur peaufiner son image à chaque prise de parole; il y a de l’onction dans sa manière d’exposer les choses – est-ce une variation de l’atavisme théologique? Allez savoir. Toujours est-il que la crise municipale de la semaine passée relève bien du coup de tonnerre. Cette crise, par quoi la responsabilité de la police va lui échoir, figure non pas comme le premier accroc de sa carrière, puisqu’il a su ne pas se défiler, mais le premier défi. Jusqu’ici on eût pu dire de lui, paraphrasant Flaubert à propos de la candidature de Baudelaire à l’Académie: pourquoi vouloir à tout prix devenir quelque chose alors que l’on peut être quelqu’un? Maintenant il a l’occasion de faire ses preuves.

Ce n’est certes pas le premier socialiste lausannois en charge de la police, mais le contexte général et ses ambitions attisent les curiosités, fussent-elles narquoises. Ainsi lorsqu’on voit la radicale Jacqueline de Quattro, ministre de tutelle de la police cantonale, placer ses espoirs dans le «pragmatisme» de Junod, on entend qu’elle doit l’estimer capable de jeter son froc socialiste aux orties. Voire. Attendons de voir.

Cet article fait suite à un premier du même titre «Remue-ménage lausannois» auquel nous pensions donner une suite consacrée aux projets muséographiques de la capitale: au projet réel, celui du musée des beaux-arts à la gare, et aux projets plus ou moins fantasmés, l’ensemble Pôle muséal, cette boutique à colifichets, l’Elysée que l’on chasserait d’Ouchy, le MUDAC que l’on avait mal casé à la Cité. L’actualité nous a fait changer notre rédaction, mais il faudra y revenir, surtout que Grégoire Junod a dû renoncer à la culture. Daniel Brélaz en hérite. Emoi dans le marigot culturel! Ils ne le diront bien sûr pas, particulièrement celles et ceux qui dépendront de sa largesse subventionnante, mais beaucoup considèrent le syndic comme un plouc. Un non-dit qui n’honore pas les snobs qui le véhiculent, et trahit une évidente inquiétude. On reconnaît en revanche au syndic un bon sens qui pourrait rendre service, compte tenu de visées mégalomanes actives dans ce secteur. Mais là aussi attendons. Avec une curiosité, cette fois, moins narquoise que gourmande.

Article paru dans “Courant d’Idées

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Un commentaire à “Remue-ménage lausannois (2)”

  1. Magnin Eric 23 septembre 2012 at 16:56 #

    “Marc Vuilleumier avait été brillamment réélu en 2011” à la louche 12’000 voix. Un électeur sur sept a voté pour lui (1/7 voire 1/8)! Il doit comme le syndic l’avait annoncé, libérer son poste en 2013. Une nécessité pour la crédibilité des élus, après le “flop” et c’est peu dire de métamorphose. Suite mais pas fin avec le parlement, le pôle muséal, taoua, etc. Une municipalité à majorité de gauche qui se permet ce qu’une de droite n’aurait pas osé!

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