Ni «haineuse», ni xénophobe, une majorité du peuple suisse s’est saisie de l’initiative de l’UDC «contre une immigration massive» pour exprimer, comme l’avait fait le peuple français en 2005 contre la Constitution européenne, son rejet des politiques imposées par les institutions antisociales et antidémocratiques de l’UE. Ce faisant, elle a sanctionné le Conseil fédéral, la coalition gouvernementale, et toutes les forces politiques qui s’attachent à assurer la transposition et la mise en application du contenu des traités et directives «européens» en Suisse.
PAR WALTER WAELTI
Ce «OUI» à l’initiative de l’UDC est un désaveu de toute la classe politique, du patronat, du PS et de toute la politique d’accompagnement conduite par les faîtières syndicales au titre de leur soutien aux politiques destructrices de l’UE. Le constat est parfaitement clair, cette prétendue «victoire» de l’UDC n’aurait pas été possible si des centaines de milliers de travailleurs, de syndicalistes et d’électeurs traditionnels du PS ne s’étaient saisi de cette votation pour exprimer leur rejet des politiques menées au nom du principe d'”euro-compatibilité”.
La clé du vote du 9 février est à chercher dans les résultats d’un sondage mené en Suisse allemande auprès d’un électorat traditionnellement acquis au vote socialiste. Selon la «Neue Luzerner Zeitung», ce sondage aurait démontré que 34% de la base du PS se serait déclarée favorable à l’initiative de l’UDC et qu’à la question: «pensez-vous qu’il est pertinent d’appeler à voter contre l’initiative de l’UDC pour préserver la LCDP et les accords bilatéraux conclus entre la Suisse et l’UE?», 54% auraient répondu par la négative. Ce qui confirme, encore une fois, que sans le vote de défiance exprimé par des centaines de milliers de travailleurs, de syndicalistes et d’électeurs traditionnellement attachés au PS, on ne parlerait pas aujourd’hui de «victoire de l’UDC».
Comme l’ont fait remarquer de nombreux analystes: si dans d’autres nations d’Europe, la directive sur la “libre circulation des personnes et des services” était soumise au verdict du suffrage universel, le résultat serait le même.
Par ce vote, une majorité du peuple suisse exprime, par-delà les frontières du pays, la défiance largement partagée par tous les travailleurs d’Europe à l’égard des programmes d’austérité, des privatisations et de la déréglementation imposés au nom du dogme de “concurrence libre et non-faussée” cher à la Commission européenne et aux capitalistes.
Les véritables responsables de cette “victoire” de l’UDC sont le PSS et l’USS qui, avec leurs écrans de fumée, ont couvert et continuent de couvrir l’adaptation en Suisse du programme antisocial consigné dans le traité de Maastricht (libéralisation et privatisation des services publics, mise en concurrence déloyale des travailleurs entre eux, soutien à la spéculation immobilière et aux banques, etc.).
Empêchés par les directions de leurs organisations politiques et syndicales (PSS et USS) d’entrer en résistance sur le terrain de la lutte syndicale et politique, contraints par l’usage exclusif des instruments institutionnels de la démocratie directe, les travailleurs s’en sont saisis, chacun pour soi dans l’isoloir, pour exprimer leur mécontentement.
Non, le peuple suisse n’est ni raciste ni xénophobe ni replié sur lui-même, il est au mieux “chatouilleux” sur les questions de souveraineté nationale.
En sanctionnant l’«Union Sacrée», PLR, PDC, PBD, PSS, Les Verts (à l’exception de leur section tessinoise), les gauches diverses (alternatives/radicales), les organisations patronales (USAM, Economiesuisse, etc), les associations de banquiers, les églises, l’USS, Travail.Suisse et le Conseil fédéral, une majorité du peuple suisse condamne les conséquences liées, en terme de dumping salarial et social, à la “libre circulation des personnes et des services” rebaptisée “libre circulation des esclaves” par un inspecteur du travail et syndicaliste genevois attaché à contrôler les chantiers du secteur du bâtiment et de la construction.
Avec un Code des obligations taillé sur mesure pour servir les intérêts du patronat, une Loi sur le travail exsangue, à peine 45% de salarié-e-s couverts par des CCT (dont la plupart n’intègrent pas de salaires minimaux), avec la « paix du travail », signée en 1937 et toujours en vigueur, le marché Suisse du travail, grande fierté des milieux économiques et des patrons, est de loin le plus flexible et le moins réglementé d’Europe. Dans ce contexte, l’usage que le patronat suisse s’est opportunément empressé de faire avec l’entrée en vigueur complète, en 2006, de l’accord bilatéral Suisse/UE sur la “libre circulation des personnes et des services” n’a eu d’autre effet que de comprimer les salaires et les budgets sociaux pendant que le coût de la vie n’a cessé d’augmenter.
Aujourd’hui l’UE menace, elle entend bloquer les négociations sur la libéralisation totale du marché de l’électricité: faut-il s’en inquiéter ou s’en réjouir?
Pendant que les médias aux ordres et loin à la ronde (F, D, I, etc.) se déchaînent en calomnies pour dissimuler le contenu et les motifs de ce vote, les travailleurs d’Europe, victimes des mêmes politiques, comprennent et partagent avec la majorité du peuple suisse le message sorti des urnes le 9 février 2014.
Il est urgent, au lendemain de cette votation, de barrer la route aux partis réactionnaires, xénophobes, populistes et anti-ouvriers qui, forts uniquement de la politique honteuse d’alignement du PSS et des faîtières syndicales sur les diktats de Bruxelles, profitent des politiques de l’UE, du mécontentement qu’elles suscitent et du rejet que les travailleurs leurs opposent pour diviser et se renforcer.
Il faut maintenant que la volonté populaire soit respectée. Cela signifie qu’il faut, pour aider les ouvriers et les paysans de notre pays à résister au déchaînement des attaques que la Commission européenne leur prépare, que les organisations qui se réclament de la défense des intérêts des travailleurs se mettent à la tête du combat et rompent avec leur politique d’accompagnement et de soutien aux accords bilatéraux entre la Suisse et l’UE.
Merci de cette excellente analyse que je partage entièrement. Mon commentaire à l’article de Pierre Kolb sur le même sujet va dans le même sens, mais sans être du tout aussi documenté.
Je vous remercie pour votre analyse très bien documentée, qui m’amène du baume au coeur et me rassure grandement. Je suis romande, mais habite le Tessin depuis plus de dix ans. Les habitants de ce petit canton suisse sont travailleurs, pragmatiques et réalistes et je m’étonne de l’indifférence et de l’incompréhension des Romands à leur égard. Et pourtant le vote tessinois est un vote qui signifie non pas l’hostilité mais la volonté d’amener notre gouvernement à Berne à négocier “sans baisser les culottes”! J’avais d’ailleurs répondu à l’article de M. Kolb en ces termes: “au Tessin on entend déjà dire, de la bouche même des Italiens, que beaucoup d’Européens auraient aimé pouvoir voter comme les Suisses”.