Leur Trianon


Un article local (1) a officialisé la chose: le projet de radiation du Musée de l’Elysée, à Lausanne, a pour beau motif la volonté du Conseil d’Etat de jouir intégralement de la maison de maître éponyme.

PAR PIERRE NICOLAS

Ils veulent avoir leur petit Trianon et ne pas y être dérangé. On s’en doutait, mais de vagues dénégations avaient été récemment apportées à cette hypothèse. Il faut croire que l’approche de la concrétisation des projets dits muséaux, à la gare de la capitale vaudoise, a instillé une inspiration foudroyante à ce gouvernement, ou plutôt la prise de conscience que des aveux plus tardifs risquaient d’être scabreux, à l’instar du maquignonnage du toit du futur parlement.

Il faut aussi dire que le temps presse, au Château. Les ministres en place ont mobilisé tous leurs godillots parlementaires, et entendent expédier le multipack du «Pôle muséal» en quelques semaines. Adopté par l’exécutif le 18 décembre 2013, ce tout-en-un culturel est censé être avalé par le plénum des députés ce mois déjà. Le Gouvernement a pu compter dans ce but sur une commission d’une révérence remarquable, qui a liquidé son affaire (30 millions pour construire le musée des beaux-arts, 12 autres millions pour préparer les projets Ex-Elysée et Ex-MUDAC, les statuts d’une fondation et autres colifichets) en… deux séances. Sans rapport de minorité! Ceci grace à la présidence de Jean-Marie Surer.

Ce vétérinaire vaut le détour. Lors de son année de présidence du Grand Conseil, il n’avait qu’une idée en tête, raccourcir la durée des interventions. On voit qu’il n’a pas perdu la main. Mais direz-vous, qu’est-ce qu’un vétérinaire vient faire dans un débat en principe culturel? C’est que c’est un spécialiste. En 2011, il avait tenté de bloquer le dispositif censé assurer un salaire décent aux maîtres de musique, au motif que la musique devait rester un hobby. Il se montre autrement généreux aujourd’hui, devenant le point de convergence des snobs et des technocrates des Affaires culturelles de l’Etat. Il ne s’agit plus de sauver financièrement quelques musiciens locaux mais, selon son rapport, d’offrir, par des musées ex nihilo, «un lieu majeur où se crée une meilleure compréhension des pratiques artistiques du monde.» Noble tâche «dans une société helvétique de plus en plus multiculturelle, dans un canton à la population cosmopolite». La grenouille et son besoin de grandeur.

Dire que l’on a pour autant justifié le départ du musée de l’Elysée serait exagéré. Certes la glacière en béton à mettre au concours pour son remplacement à la gare a des chances d’être mieux adaptée à la conservation des documents. Mais aucune étude n’a été produite, qui examine sur le site actuel d’Ouchy une solution comparable à celle qui a été trouvée pour la fondation de l’Hermitage, sur les hauts de Lausanne. Là aussi, on devait se coltiner une maison de maître de trop petites dimensions.

Une étude, on n’en veut pas, de même que le tout-Etat culturel n’avait pas étudié, lors du projet de Bellerive, les moyens de tirer profit du Palais de Rumine. Cet édifice ne convenait pas aux humeurs de ces Msieurs-Dames. Et quand une étude fut obtenue après l’échec de Bellerive, on en a tout simplement écarté les conclusions.

Faute d’expertise crédible, Pascal Broulis note que «l’Elysée n’est pas du tout adapté à la mobilité réduite.» Le grand argentier devrait faire modifier la loi électorale. Il faudra exclure les candidats au Gouvernement en fauteuil roulant, pas aptes à siéger à l’Elysée.

Le Conseil d’Etat, répète-t-on, a besoin des lieux pour ses conférences intercantonales et, on le reconnaît maintenant, pour ses réceptions. L’édifice est équipé pour accueillir les services traiteur des grands chefs.

Et équipé pour des déjeuners de travail. Un must, les déjeuners de travail. Soit dit entre nous, puisqu’on en parle dans les patelins, Broulis et Leuba, que sont-ils allés faire à Sotchi? Des déjeuners de travail, pardi! Au fait, avez-vous lu un communiqué de l’Etat où il serait question de déjeuner qui ne soit pas «de travail»? Ne vous inquiétez tout de même pas trop de l’austérité de la république. Ceux qui en ont bénéficié pourraient vous le dire, sous le sceau de la confidence bien sûr: la tambouille de l’Elysée, ce n’est pas l’ordinaire de la troupe.

Au demeurant, le Conseil d’Etat entend se montrer généreux en promettant de laisser les jardins de l’Elysée ouverts au public. Ca tombe bien puisque ces jardins n’appartiennent pas à l’Etat, mais à la Ville, laquelle doit être embarrassée dès lors que lesdits jardins, perdus entre le Musée olympique et le grand parc du Denantou, perdront l’essentiel de leur attrait lorsque cette villa de l’Elysée sera interdite d’accès.

A tel point qu’il serait préférable de trouver une autre destination à cette pente herbeuse. La capitale manquant cruellement de logements sociaux, ne serait-ce pas un site pour HLM? Horreur! : sous les yeux des VIP invitées aux réceptions du Conseil d’Etat. Non, l’esprit même du rêve gouvernemental d’un Trianon induit une autre solution, historiquement fondée. Il faut y faire paître des moutons. Et nos sept ministres revêtiront la dignité d’authentiques Marie-Antoinette de province.

(1) “La maison de l’Elysée sera inaccessible au public”, “24 heures” du 25 février 2014

Article paru dans «Courant d’Idées».

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