BNP, le banquier, le shérif et le président


Quand on veut jouer les gros bras avec un shérif, mieux vaut être Popeye qu’Asterix. C’est la dure leçon que la BNP et le gouvernement français sont en train d’apprendre.

PAR MARC SCHINDLER, Alès (France)

Pendant des années, la grande banque française a allègrement violé l’embargo commercial américain visant le Soudan, l’Iran et Cuba. Sa succursale à Genève, centre mondial du commerce des matières premières, a financé les ventes de matières premières, d’équipements et de matériels vers des Etats qui soutiennent le terrorisme et qui sont frappés d’embargo par les Nations Unies. La BNP espérait que ce trafic échapperait à la vigilance du shérif, puisque les contrats étaient signés hors du territoire américain. Mais, comme l’aurait dit Michel Audiard s’il avait parlé américain: «Never take God’s children for wild ducks!»

Les transactions de la BNP étaient peu-être légales en France, mais elles étaient financées en dollars et donc compensées aux Etats-Unis. A croire que les banquiers français ne savent pas l’anglais et qu’ils ne consultent jamais Internet. Ils auraient appris, sur le site du Département d’Etat que «aucune vente, exportation, transfert…ne peut être effectuée vers aucun pays ou aucune personne, aux Etats-Unis ou à l’étranger, sans obtenir une licence ou l’approbation du directoire du contrôle du commerce de la Défense». Cette réglementation existe depuis 1993 pour le Soudan, depuis 1984 pour l’Iran et depuis 1984 pour Cuba.

La BNP savait bien qu’elle prenait des risques. Et le gouvernement français ne pouvait ignorer ce commerce risqué d’une société du CAC 40 qui rapporte 2,5 milliards d’euros d’impôts par an. Mais, comme le dit la sagesse populaire au pays des Gaulois: «Pas vu, pas pris». Alors, le shérif a défouraillé et a flingué le méchant banquier français là où ça fait mal: au portefeuille. Une amende de 10 milliards de dollars, ainsi que l’aveu de culpabilité et la menace de suspendre la licence bancaire aux Etats-Unis. Le shérif Eric Holder, ministre de la Justice, a déjà fait plier la seconde banque helvétique, Crédit Suisse, condamnée à plaider coupable d’évasion fiscale et à payer une amende de 2,6 milliards de $. Pour lui, «aucune banque n’est au-dessus des lois».

Comme chaque fois qu’on est pris le doigt dans la confiture, au pays des Gaulois, on hurle. Comme Xavier Houzel, que le “Monde” présente comme «négociant international de pétrole brut et de produits pétroliers et chimiques durant trente-cinq ans. Il a dirigé la seule entreprise française indépendante de trading pétrolier, Carbonaphta, et a travaillé en Arabie saoudite, en Irak, en Syrie et en Iran». Bref, un avocat qui plaide pour ses affaires. Il s’étouffe d’indignation contre «la naïveté européenne»: «Il est tout simplement extravagant que les Etats-Unis puissent tout à la fois inonder la planète d’encaisses dollars, et faire de l’utilisation du dollar la courroie de transmission de toutes leurs réglementations, applicables du seul fait qu’on l’échange à New York.» C’est vrai que derrière le shérif, on trouve le businessman américain, trop content de voir la justice de son pays éliminer des concurrents étrangers.

La menace américaine a provoqué une onde de choc à Paris et la panique à la BNP, dont les dirigeants ont sauté dans le premier avion pour négocier à Washington. Le président François Hollande a pris son ton le plus solennel pour dénoncer des «sanctions injustes et disproportionnées». Il a affirmé qu’il respecte la justice américaine, mais il a mis en garde: «Rien ne doit compromettre le partenariat entre la France et les Etats-Unis». En clair, Paris menace de revoir son attitude sur le traité de libre-échange actuellement en négociation. Des moulinets pour brasser l’air de la part d’un président au plus bas dans les sondages, incapable de relancer l’économie et de réduire le chômage.

La mobilisation pour sauver le soldat BNP ignore aussi la situation politique américaine. Comme le souligne le quotidien suisse le “Temps”: «Les Etats-Unis ont pour l’heure épargné les grandes banques américaines – d’un point de vue pénal en tout cas. Si elles ont dû payer des amendes impressionnantes – 66 milliards au total depuis 2010 pour le seul dossier des «subprimes», dont 13 milliards de dollars pour JPMorgan, aucune n’a été obligée de plaider coupable… Ayant été accusées d’être trop complaisantes avec le monde de la finance, les autorités américaines, plutôt que d’instruire un dossier officiel, surfent en réalité sur le sentiment anti-banque, qui règne aujourd’hui aux Etats-Unis», juge Eric Delannoy, du cabinet de conseil Weave, face à l’accumulation des amendes.

Face aux enjeux politiques, le sort de la BNP ne pèse pas lourd dans le choix de la justice américaine de frapper fort. Question de culture: aux Etats-Unis, le président n’a pas l’habitude, comme en France, de téléphoner au ministre de la Justice pour lui faire changer d’avis. Le shérif a toutes les cartes en main pour punir les banques suspectées de violation des sanctions et de blanchiment, comme la Société Générale et le Crédit Agricole. On vous avait prévenu: quand on veut jouer les gros bras avec un shérif, mieux vaut être Popeye qu’Asterix.

Tags: , ,

Laisser un commentaire

Les commentaires sous pseudonyme ne seront pas acceptés sur la Méduse, veuillez utiliser votre vrai nom.

Mentions légales - Autorenrechte

Les droits d'utilisation des textes sur www.lameduse.ch restent propriété des auteurs, à moins qu'il n'en soit fait mention autrement. Les textes ne peuvent pas être copiés ou utilisés à des fins commerciales sans l'assentiment des auteurs.

Die Autorenrechte an den Texten auf www.lameduse.ch liegen bei den Autoren, falls dies nicht anders vermerkt ist. Die Texte dûrfen ohne die ausdrûckliche Zustimmung der Autoren nicht kopiert oder fûr kommerzielle Zwecke gebraucht werden.