J’étais parti pour une réflexion sur la mort avec de bons guides de cordée comme François Cheng (1) et une équipe de philosophes.
Allez savoir pourquoi je suis tombé en arrêt sur un chiffre: mille six cents trente milliards de dollars, la facture que l’humanité dans sa folie règle chaque année aux marchands d’armes. Je demande: c’est quoi la vie, la mort quand la plus petite partie de cette addition monstrueuse est là pour enlever la vie à ceux qui ne sont pas du même avis, de la même religion, du même collège. Encore que ce dernier critère vole en éclat lorsqu’un jeune Américain, propre sur lui, vide son chargeur sur une classe. Ce qui amène les défenseurs d’une loi abjecte à limiter le son de leur porte-voix. Pour un temps très court…
Cette brassée de milliards pour tuer de façon moderne, sélective, porter des frappes «chirurgicales» – dérision du mot ! – agir dans l’art de la guerre comme si ce réflexe bestial relevait de l’art. Faut-il le rappeler: la seule guerre qui fut gagnée en moins d’un mois était conduite par un civil, Guillaume-Henri Dufour, cartographe de son état. Aucune autre ne fut aussi rapide et décisive! Aucune campagne confiée aux militaires, ces grands distributeurs d’armement aussi loin que possible de leur quartier général, ne fut aussi nette et complète.
Revenons à notre chiffre: mille six cent trente milliards de dollars qui servent essentiellement à distribuer la mort. Et essayons de comprendre ce qu’on pourrait en faire pour soutenir la vie. D’autant qu’une série d’échéances attendent l’humanité:
– le réchauffement climatique qui pèse lourd déjà pour les populations un peu trop riveraines de la mer;
– la progression inéluctable de la population, probablement neuf milliards en 2050, c’est tout proche;
– la nécessité de créer des centaines de milliers d’emplois – des économistes avancent le chiffre de six cent mille – pour limiter les effets d’une fracture sociale irrémédiable
Je me pose, je vous pose la question: est-ce que nous formons un tels ramassis d’oligophrènes pour laisser aller cette folie? Est-ce que nous pouvons admettre qu’en Afrique, malgré une massive pléthore de ressources naturelles et humaines deux cent trente-neuf millions de personnes souffrent de malnutrition et que, chaque soir trente-trois millions d’enfants aillent se coucher la faim au ventre?
Je repense à Edmond Kaiser, ce champion modeste qui a créé Terre des hommes. Je repense à son regard clair qui illumine toujours de le souvenir d’une rencontre ancienne: «sauver un enfant c’est notre premier devoir. Tout le reste est poussière.»
Marcus
(1) François Cheng, « Cinq méditations sur la mort: autrement dit, sur la vie », Albin Michel, 2013.
Si je suis d’accord avec l’essentiel des propos ci-dessus, « la nécessité de créer des centaines de milliers d’emplois » m’amène à ce commentaire : s’il s’agit de créer des emplois dans une économie telle que nous la vivons aujourd’hui, c’est me semble-t-il faire fausse route ! c’est le système économique qui est à revoir entièrement. On devrait revenir à un mode de vie plus autonome, où chacun et chacune ferait sa part de boulot pour satisfaire ses besoins propres, selon ses capacités et fournirait un supplément pour autrui, aussi selon ses capacités. C’est d’ailleurs ce à quoi tend le revenu de base.
Absolument d’accord avec vous : créer des emplois pour maintenir un équilibre social selon le modèle que nous observons est clairement une erreur. Mais les éléments que vous avancez relèvent d’une autre réflexion, un virage que notre société aurait la force d’engager.
Ce que j’ai voulu souligner dans mon billet c’était simplement qu’on marchait sur la tête.
En tout cas merci pour votre intérêt.
Robert Curtat
journaliste RP