Au secours, mon pharmacien fait grève!


La grève est vraiment un sport national en France.

PAR MARC SCHINDLER, Alès (France)

A peine, les pilotes d’Air France ont-ils décidé de rejoindre leurs cockpits que les pharmaciens vont fermer boutique. Motif: dire non au gouvernement qui veut libéraliser les professions réglementées. La profession de pharmacien est encadrée par la loi: pour ouvrir une officine, il faut une autorisation délivrée par l’administration à un professionnel qualifié qui respecte sa déontologie et qui accepte que ses tarifs soient fixés par l’Etat. Le gouvernement veut assouplir ce carcan en permettant la vente des médicaments non remboursés en grande surface et en autorisant des investisseurs extérieurs aux professions de santé à entrer au capital des officines. Les 22 000 pharmacies françaises sont vent debout: quoi, on va laisser Leclerc et les autres épiciers vendre du Bonviva, du Dakin ou du Lumirelax? Et on va permettre à des assurances et autres prédateurs financiers de s’introduire dans le capital de nos boutiques? Au secours!

Et pour alerter les patients qui n’y comprennent rien, les 37 professions réglementées ont lancé une pétition «Non à la déréglementation et à la financiarisation des professions libérales». 59% des personnes interrogées trouvent que ce ne serait pas une bonne chose et 24% approuvent. Il n’y a pas que les pharmaciens: les notaires, les huissiers, les avocats, les serruriers, les chauffeurs de taxi – toutes ces professions libérales ne peuvent pratiquer que si elles ont des qualifications spécifiques. Selon l’inspection générale des finances, ces corporations ne se portent pas si mal: certaines ont même une belle rente de situation.

En juillet, le flamboyant Arnaud de Montebourg, ministre de l’Economie débarqué par François Hollande, annonçait «une trentaine de mesures destinées à mettre fin aux monopoles et à restituer aux Français l’équivalent de 6 milliards d’euros de pouvoir d’achat». Selon ce rapport, la moitié des pharmaciens gagnait moins de 7671 euros nets par mois, la moitié plus encore. Bon d’accord, c’est des cacahouètes par rapport aux 29177 euros mensuels d’un greffier de tribunal de commerce.
C’est vrai, tous les pharmaciens ne font pas fortune, leur chiffre d’affaires ont diminué à cause des réformes de la Sécu, qui limite les remboursements. Mais le diable est dans les détails, selon une étude de KPMG, le spécialiste de l’audit et de l’expertise comptable, du mois d’avril sur 509 pharmacies. Le chiffre d’affaires des pharmaciens a bien baissé de 14%, mais – ô divine surprise ! – leur marge a augmenté de 31% par rapport au chiffre d’affaires. Pourquoi? Elémentaire mon cher Watson: la parapharmacie (compléments alimentaires, lecteur de glycémie, poussettes) et les médicaments non-remboursés représentent le quart des affaires. Et la TVA sur ces vaches à lait est à 10% au lieu de 2% sur les médicaments.

Selon Medisite, le calcul des revenus des pharmaciens est tout sauf simple : il est calculé sur la valeur du point, le même pour tous, et le coefficient, selon l’ancienneté et le niveau de responsabilité. Il faut y ajouter les primes et les heures supplémentaires. Pour les propriétaires d’officine, il fait encore ajouter un dividende sur le capital investi. Selon Medisite, les pharmaciens sont rémunérés à la marge. “Sur chaque médicament délivré, l’officine touche une marge payée par la Sécurité sociale. ‘Cette marge est fixée en fonction du prix usine du médicament”, précise Philippe Besset, président de la commission économique de la FSPF. Comment est calculée la marge? Par tranche de prix du médicament: 0 à 22,90 €, 22,91 à 150 €, plus de 150 €. Dans la première tranche, la marge est par exemple de 26,10%. A cette marge s’ajoute un forfait par boîte de médicament délivrée qui est de 0,53 centimes d’euros.» Attendez, c’est pas fini: quand un pharmacien délivre un médicament générique, il reçoit du laboratoire une remise qui peut atteindre 17%. Et quand il ouvre le dimanche, le soir et les jours fériés, il touche 75 euros et il facture les médicaments de 4 à 6 euros par ordonnance. Sans compter les juteuses commissions versées par les fabricants pour mettre leurs produits bien en évidence dans les pharmacies. Vous avez dit opaque!

Vous comprenez maintenant pourquoi nos chers pharmaciens se battent pour garder leurs privilèges. Les syndicats de la profession ont trouvé une moyen de sauver les meubles: «depuis le 28 octobre 2011, c’est en marche! Les députés ont adopté un nouveau mode de rémunération: la rémunération de l’acte de dispensation et à la performance. ‘Le pharmacien peut être rémunéré parce qu’il accompagne le patient dans le traitement de sa maladie chronique, parce qu’il organise des dépistages comme celui du diabète, parce qu’il contribue au programme d’éducation thérapeutique du patient’.… Autres possibilités de rémunérations supplémentaires: ‘Les pharmaciens pourraient vérifier le statut vaccinal de la personne et lui indiquer les rappels à pratiquer’» C’est vrai, les conseils de l’apothicaire n’ont pas de prix!

Face à la fronde des valeureux champions du caducée, le gouvernement hésite, comme d’habitude. S’il veut faire passer la pilule amère du budget de la Sécu, qui prévoit des économies de 2,9 milliards, ce n’est pas le moment de se mettre à dos les députés harcelés par les pharmaciens en colère. Comme le racontait cette vieille histoire de pharmaciens: La pharmacienne: “A quelle caisse êtes-vous madame?”. La cliente: “A la caisse d’épargne!”

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