Le billet de Marcus – Sillon après sillon l’attelage de l’amour et de la mort laboure le temps qui reste


C’était le temps actif, vibrionnant, affolé, ces années où tu te sentais partie prenante de la communauté par ton exercice professionnel, ton engagement politique, religieux, civique. De ce tourbillon laborieux avec ses échéances comme ses itératives obligations ne reste guère qu’une poignée d’agendas, feuillets froissés portant les preuves que tes contemporains avaient besoin de toi, à ta place de travail, au milieu des autres engagés comme toi à répondre aux demandes. Trop occupé tu n’as pas vu glisser les années.

La hiérarchie, les clients, les projets commandaient, organisaient tes journées et tu acceptais d’autant plus volontiers cette pression que tu y voyais le sentiment de ton utilité.

Quelque fois, sans trop y croire, tu évoquais le moment qui marquerait la fin de cette agitation.

Et puis le voilà ce jour aussi espéré que vaguement redouté. Te voilà seul devant la rugueuse compagnie du vide, de l’espace à remplir.

Voltaire qui n’eut probablement jamais à anticiper du moment de sa retraite nous confie:

– Le travail éloigne de nous trois grands maux: l’ennui, le vice et le besoin.

Belles paroles pour ce beau temps, celui des premières années de la retraite où l’on arrive souvent en bonne santé avec assez de moyens pour remplir le temps désormais libre.

Formidable bonheur offert à notre génération après avoir été si longtemps refusé à nos pères et qui tient dans cette si belle expression: espérance de vie.

Aimable tricot des jours et des saisons qui se succèdent. Jusqu’au moment où Chronos, l’intransigeant comptable de notre temps de passage commence à montrer les dents.

Au long de la traversée on avait laissé la mort à deux corporations exclusives: les ministres des religions et les employés des pompes funèbres.

On l’ignorait et voilà qu’elle s’impose dans sa triviale réalité, frappant la cohorte toujours plus maigre des vieux amis, nous arrachant des proches.

Le philosophe nous parle d’un double royaume qui réunit les deux versants de la vie et de la mort. Il nous rappelle que la mort nait de la vie comme la nuit nait du jour.

Autour de ce point focal le poète tresse des bouquets de mots ou relève simplement des évidences: «Une vie ne vaut rien – nous dit Malraux – mais rien ne vaut une vie».

Sillon après sillon l’attelage de l’amour et de la mort laboure le temps qui reste:

– De corps à corps l’amour s’enrichit

– L’amour à l’autre inspire respect et gratitude.

Le philosophe, le poète, l’artiste, ces compagnons du grand âge occupent le décor.

Reste le quotidien, l’écoute, le soin, la belle poignée de jours à vivre ensemble, cadeau offert aux fiancés de l’automne et à ceux qui les accompagnent.

Tout le reste est poussière.

Marcus

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Un commentaire à “Le billet de Marcus – Sillon après sillon l’attelage de l’amour et de la mort laboure le temps qui reste”

  1. Heizmann 13 novembre 2014 at 16:37 #

    Splendide!!

    Merci à Marcus de nous nourrir de sa lumineuse poèsie!

Répondre à Heizmann

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