Comment démembrer et privatiser un Etat


Une bulle doit éclater. Ce message seriné tous les jours sert-il à préparer psychologiquement les populations à la gigantesque confiscation de dépôts bancaires qui se prépare?

PAR LILIANE HELD-KHAWAM

Les crises précédentes avaient fait émerger des mammouths transnationaux avec Apple à la tête.
 La métamorphose du monde qui a vu arriver ces mammouths ou firmes transnationales – prévues apparemment en tant que futurs dirigeants de la planète – n’auraient jamais pu exister sans les crises successives. Dettes publiques, privatisation des services publics, ouverture des marchés publics, optimisation fiscale etc. les ont engraissées.
 Cet «accouchement» de firmes transnationales a eu un coût au niveau des droits et des libertés du citoyen, de la chose publique et de son fonctionnement démocratique. La réforme de l’Etat si ardemment demandée par les marchés publics ne se limite de loin pas à une simple économie budgétaire. C’est un scrupuleux détricotage voire privatisation des organes de l’Etat afin de les mettre à la disposition du monde de la finance et des impératifs du droit privé. Il s’agit d’une véritable restructuration et transformation profonde de l’Etat de droit en Etat-commercial.
 Le citoyen finira probablement par demander des comptes quant à l’emploi qui est fait de ses impôts… Mais ceci est un autre sujet.

Reste que l’administration publique du 21ème siècle ne cesse de se restructurer dans le but de rapprocher son management le plus possible de celui d’une entreprise transnationale. Mêmes consultants, mêmes auditeurs, mêmes concepts de business process reengineering etc. Tous courent après l’insatiable et épuisante «performance». Certains pays vont plus vite que d’autres. La Suisse fait partie des premiers de classe dans le domaine. 
La réforme ou restructuration de l’organisation de l’Etat réclamée à corps et à cris par les marchés revient à transformer des pans entiers de l’autorité, du patrimoine et des services publics en entités juridiquement autonomes ou “business units”.
 Les unités d’affaires ainsi créées possèdent une identité inscrite au Registre du commerce. Certaines sont à l’image de Postfinance, CFF ou Swisscom de véritables sociétés anonymes (SA ou Sàrl).

Le cas de Finma devrait attirer plus l’attention du citoyen. Il s’agit du gendarme des marchés financiers. Elle édicte de vraies ordonnances qui ont strictement la même allure que celles émises par le Conseil Fédéral. Sauf qu’aucun dirigeant de Finma n’est élu. Ils sont nommés. Or, voici ce que l’on trouve sur son site: «autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) est une institution de droit public dotée de sa propre personnalité juridique et compétente en matière d’application de la loi sur l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (LFINMA) et des lois régissant les marchés financiers.» 
Cette définition qui s’ajoute au fait qu’elle a à sa tête un conseil d’administration en tant qu’organe suprême aurait dû la faire apparaître au Registre du Commerce dans la catégorie SA ou Sàrl. Or, il n’en est rien. Oubli ou volonté de ne pas apparaître en tant que société anonyme de manière officielle? Il faut reconnaître que cela serait difficile à faire passer, n’est-ce pas?

Contrairement à Finma, sa soeur française AMF (Autorité des marchés financiers) possède son numéro SIRET. Pour sa forme juridique, la fiche d’identifiant mentionne: «Autorité administrative indépendante»…

Il existe enfin une 3ème catégorie d’entités. Ce sont des instituts ou organismes publics, inscrits au registre du commerce avec deux exemples fameux que sont la Commission européenne et la Mission Suisse auprès de l’Union Européenne dont le chef est appelé «ambassadeur».

On semble avoir abouti en Suisse à ce genre de construction de petites entités autogérées grâce à un système d’imbrication de lois à l’image d’un légo que le commun des mortels a de la peine à imaginer et même à suivre. Quand on multiplie cet exercice des centaines de fois dans toutes sortes de domaines, cela vous donne un chamboulement total des institutions d’un pays.

Côté français, le mouvement est similaire. Un exemple pour illustrer le propos serait celui de Tracfin qui selon le site du ministère «est un Service de renseignement rattaché au Ministère des Finances et des Comptes publics. Il concourt au développement d’une économie saine en luttant contre les circuits financiers clandestins, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Le Service est chargé de recueillir, analyser et enrichir les déclarations de soupçons que les professionnels assujettis sont tenus, par la loi, de lui déclarer», possède son numéro SIRET. Il est drôle de découvrir dans sa fiche de données la mention «service déconcentré» en tant que forme juridique. Les appellations changent, le processus reste identique.

L’avantage majeur de ces entités est qu’elles sont dotées de conseils d’administration ou de fondation. Ces conseils sont les organes suprêmes. Les administrateurs sont les ultimes décideurs. Une fois créées, la gestion de ces entités peuvent être déléguée à des représentants des marchés, pouvoir décisionnel et stratégique compris. On y trouve banquiers, assureurs, avocats d’affaires, fonds d’investissements…
 Un exemple: le président de Postfinance SA qui vient d’être créée est membre entre autres du conseil d’administration de UBS alternative portfolio SA et de Six group SA (Trafic de paiement suisse, Bourse, etc.)… Vision globale des finances suisses assurée.
 Ces administrateurs et patrons ont ainsi toute latitude pour décider de l’affectation des patrimoines à l’intérieur ou à l’extérieur du pays en fonction des intérêts, non du pays, mais des marchés. L’exemple le plus illustratif est celui de Swissair avec une stratégie de diversification aberrante, des achats illogiques mais utiles pour les stratèges des marchés. Swissair a été la première victime suisse des marchés financiers internationaux.
 Ces entités encaissent les taxes, abonnements, amendes etc. Elles semblent bel et bien garder dans leur caisse les bénéfices générés pour financer leur stratégie, acquisitions etc., au lieu de les rendre à l’Etat. Manque à gagner garanti! Toutefois, les investissements effectués par ces entités «publiques», sont laissés bien évidemment à la charge du contribuable.

L’exemple- type en Suisse est celui des CFF.
 Les conséquences immédiates de ce morcellement avec des centres de décision éclatées sont claires. Les conflits d’intérêts foisonnent. Les représentants du pays élus démocratiquement ne devraient plus avoir de vision d’ensemble de ce qui s’y passe. Des pans entiers échappent alors à la gouvernance publique et démocratique. Quant aux conséquences financières et les défaillances potentielles sur la protection de la propriété privée, elles sont bien réelles. Une sorte de chaos organisé est instauré pour le plus grand bonheur de ceux qui disposent de l’image finale du puzzle.

Le blog de Liliane Held-Khawam.

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2 commmentaires à “Comment démembrer et privatiser un Etat”

  1. Pierre-Henri Heizmann 9 juin 2015 at 06:30 #

    Une fois encore, la pertinence de votre analyse, chère Mme Held-Khawam, éclaire en effet la lente asphyxie de tout un système de valeur. Lentement la nuit tombe sur notre démocratie participative…

  2. Held-Khawam 11 juin 2015 at 16:49 #

    Merci beaucoup!

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