Selfie, l’arme fatale


Le selfie – en français l’autoportrait numérique – est devenu l’arme absolue des candidats à une élection, selon une enquête du “New York Times”.

PAR MARC SCHINDLER, Alès

Autrefois, les candidats serraient des mains, embrassaient des bébés devant les cameras ou lançaient des remarques assassines contre leurs adversaires. Fini, tout ça. Ringard, contre-productif. Grâce à leur zélés conseillers en communication, Hillary Clinton, Jeff Bush et les autres candidats à la Maison Blanche ont appris à maîtriser l’art du selfie. Hillary a même donné une leçon à un fan un peu empoté avec son iPhone: «Appuie sur ce bouton blanc, celui de droite». Les candidats peuvent y consacrer une heure à chaque rencontre avec leurs partisans.

Se faire photographier avec son candidat tout sourire, le bras passé autour de l’épaule, c’est le top des fans. Mais c’est aussi un jeu futile. Le politicien peut croire qu’il est populaire, puisque des milliers de gens veulent se faire photographier avec lui. Mais il ne saura jamais si l’électeur veut voter pour lui ou simplement poster une photo sur Facebook. Ce narcissisme est flatteur pour l’ego et il évite aussi de répondre aux questions désagréables des électeurs. N’empêche que, pour tout candidat à une élection, le nombre de selfies sur Facebook ou Instagram est une bonne mesure de la popularité, c’est de la pub politique gratuite. Le sénateur Lindsay Graham est enthousiaste: «Quand nous prenons des selfies, c’est la beauté de la démocratie… Je ne pense pas que Poutine le fasse». Les experts en com’ politique ont compris les avantages du selfie. Ils demandent aux fans d’indiquer leur nom, leur domicile et leur mail avant de poster leur photo sur les réseaux sociaux. Un précieux fichier d’adresses qui servira à relancer les électeurs avant l’élection.

Vous croyez que le selfie, c’est encore un de ces gadgets dont les Américains raffolent. Vous n’avez jamais vu à la TV Sarkozy, Hollande, Marine Le Pen et les autres prendre la pose d’un air béat avec un fan hilare? Les services de sécurité sont débordés par la folie du selfie politique. Heureusement que les fans gardent leurs mains en l’air! Mais les politiciens en redemandent. Dans sa bonne ville d’Alès, dans le Gard, le maire Max Roustan, l’homme fort des Républicains, fait du selfie une usage immodéré. L’autre samedi, pour célébrer ses vingt ans à la mairie, le populaire maire avait invité ses administrés à fêter l’événement avec des personnalités locales, un orchestre et un gâteau géant. Pendant que son directeur de cabinet chauffait l’assistance, en vrai pro de la com’ politique, Monsieur le maire se faisait attendre. Il préparait son discours? il recevait les élus? Vous n’y êtes pas du tout. L’excellent Max Roustan se faisait photographier à la chaîne avec ses admiratrices et admirateurs par un photomaton qu’il avait fait installer sur la place de la mairie. Mille selfies en quelques heures, un test de popularité grandeur nature.

Il y a longtemps que les politiciens ont compris qu’on ne gagne pas les élections en prononçant des discours sérieux que personne n’écoute. La politique, c’est du spectacle. Avec le smartphone et la tablette numérique, c’est du show populaire pour pas un rond. Rien à organiser, les fans se battent pour être photographiés ou filmés avec les politiciens. Comme le dit clairement un jeune Américain qui a sauté sur l’estrade du sénateur américain Rubio, en campagne pour la Maison-Blanche: «Nous faisons partie de la génération Y, c’est le XXIe siècle, si je suis avec un candidat et que je peux prendre une photo avec lui, je le fais».

Bien sûr, les grincheux diront que le selfie, c’est une preuve que le peuple est accro aux nouvelles technologies et que cela nuit aux contacts directs. La reine Elisabeth, qui ne passe pas pour une fan de technologie, se plaint que le selfie la prive du regard de ses sujets. Mais la vénérable souveraine n’a pas besoin de faire campagne ni de répondre aux questions de ses sujets. Hillary, Bush, Sarko, Hollande et Marine n‘ont pas cette chance. S’ils veulent être élus, ils doivent vivre avec leur temps et communiquer par selfie. Les chanteurs, les sportifs, les mannequins s’y sont mis. Même le pape François et les pèlerins à La Mecque font partie de la secte numérique. Cette folie du narcissisme décomplexé, c’est l’arme absolue et incontournable de la communication.

Tags: , ,

Laisser un commentaire

Les commentaires sous pseudonyme ne seront pas acceptés sur la Méduse, veuillez utiliser votre vrai nom.

Mentions légales - Autorenrechte

Les droits d'utilisation des textes sur www.lameduse.ch restent propriété des auteurs, à moins qu'il n'en soit fait mention autrement. Les textes ne peuvent pas être copiés ou utilisés à des fins commerciales sans l'assentiment des auteurs.

Die Autorenrechte an den Texten auf www.lameduse.ch liegen bei den Autoren, falls dies nicht anders vermerkt ist. Die Texte dûrfen ohne die ausdrûckliche Zustimmung der Autoren nicht kopiert oder fûr kommerzielle Zwecke gebraucht werden.