Le Tribunal fédéral ayant rejeté l’effet suspensif exigé par les riverains des anciennes halles CFF à Lausanne, un chantier pharaonique pourra débuter. La Haute cour doit encore se prononcer sur le fond du recours, qui porte notamment sur la pertinence du site.
Les arguments des opposants ne manquent pourtant pas de sel. Le 19 juin 2015, le quotidien genevois “Le Courrier” publiait ainsi un article de Philippe Junod, historien de l’art lausannois. Intitulé “Au royaume d’Ubu”, ce texte s’en prend au projet dit du Pôle muséal appelé à réunir sur le site des anciennes halles CFF de Lausanne le Musée cantonal des Beaux-Arts, celui de la photographie et le musée d’arts appliqués.
“La localisation à la gare du Pôle muséal, écrit M. Junod, est le fruit d’une série de malhonnêtetés en chaîne: concours bidon auprès des communes pour le choix de l’emplacement, mépris du verdict du groupe cantonal d’évaluation des sites, puis de l’avis du Conservateur des monuments, enfin choix d’un bureau architectural qui ne respectait pas les règles du jeu en démolissant les halles aux locomotives pourtant classées”. Après la mise à l’enquête, ce ne sont pas moins de 186 oppositions qui furent écartées, poursuit le spécialiste. Résultat: une facture de 200 millions, sans compter les dépassements de budget prévisibles. La destruction des halles et la construction du musée entraîneront “un chantier pharaonique dont les nuisances urbaines ont été largement sous-estimées. Car nous voilà partis pour une dizaine d’années de problèmes relatifs à la fragilité du terrain, à la simultanéité du grand chantier des CFF, à la dangerosité de la proximité des voies, à la circulation du trafic et des piétons, sans compter les nuisances pour tous les habitants du quartier et les dédommagements à envisager”, conclut l’auteur de l’article.
Le 9 juillet 2015, le “Courrier” publie une lettre de lecteur du député libéral vaudois Jean-Marie Surer (image). Lequel défend le projet du Conseil d’Etat, s’inscrivant en faux contre la valeur historique des halles menacées de destruction. Le politicien assure que les architectes retenus ont respecté le cahier des charges et reproche un “manque de vision “aux contempteurs du pôle.
Suit la réponse du berger à la bergère: une lettre que M. Junod a adressée personnellement à M. Surer. La Méduse est en mesure d’en publier l’intégralité. M. Junod répond point par point aux arguments (synthétisés en gras, ci-dessous) de son contradicteur. Réd.
Quelques éléments de réponse à Jean-Marie Surer
PAR PHILIPPE JUNOD
La halle aux locomotives […] figure à l’inventaire, cela n’implique pas nécessairement son maintien.
La halle aux locomotives, construite en 1911, est inscrite à l’inventaire architectural avec la note 2, dont la signification est la suivante : « L’édifice devrait être conservé dans sa forme et sa substance. A priori, le monument a une valeur justifiant un classement comme monument historique. » Or celui-ci va être démoli en se fondant sur un rapport ahurissant du Département des infrastructures et des ressources humaines, dont les arguments valent leur pesant d’or. Le texte commence par affirmer que la structure en question « représente une véritable innovation en Suisse », qu’elle est « typique de l’architecture ferroviaire et industrielle », qu’elle témoigne « d’une qualité historique et d’une conservation remarquable » et donc que « le site mérite d’être sauvegardé. » Mais on croit rêver en lisant quelques lignes plus loin que « le projet du Pôle muséal et du Musée cantonal des Beaux-Arts construisent le lieu et promeuvent des usages qui respectent cette mémoire et transforment avec sens les composantes matérielles et immatérielles qui ont fait son identité. » Comprenne qui pourra. Et la suite est encore meilleure: « Savoir détruire, c’est penser la fin de vie d’un monument autant que sa renaissance »
Les architectes retenus ont respecté le cahier des charges
… qui demandait précisément de conserver la structure des halles, ce qu’ont fait les autres projets concurrents.
La suspicion jetée sur l’origine des fonds privés, alors qu’ils sont recueillis sous le contrôle de l’Etat
Là n’est évidemment pas la question ! Et à leur provenance pétrolière s’ajoute celle de l’accaparement de terres agricoles souvent soulevée dans la presse.
Au total, l’investissement est de 183 millions
Sans compter les dépassement de crédits usuels (voir Jean Nouvel ou Herzog & De Meuron par exemple)
Utiliser intelligemment Arlaud (les artistes qui y exposent apprécieront)
Il n’est pas plus sourd que celui qui ne veut pas entendre: je ne visais évidemment pas la qualité des manifestations, et l’admirable exposition Yves Dana a bien montré l’usage que l’ont peut faire de ce très beau bâtiment. Le problème est qu’il est mal utilisé: horaires impossibles, et donc fréquentation confidentielle, aucune ligne directrice dans la programmation, résultat d’un compromis à la vaudoise.
Recourir à l’ancien cinéma Romandie pour les réserves (il n’y a pas plus adéquat)
L’ironie ne remplace pas les arguments. Il s’agit là d’un volume important, vide et donc facilement transformable, longtemps inutilisé, et qui se trouve à deux pas du Musée, ce qui résoudrait à la fois le problème du stockage et celui du transport.
Mais Monsieur Surer est sans doute un expert en matière de conservation et de muséographie …
Utiliser les halles CFF en Kunsthalle
ou autres choses. Les exemples de réaffectations réussies de bâtiments industriels ne manquent pas. Et sans aller chercher jusqu’à Berlin, on peut mentionner Schaffhouse, ou le théâtre de Saint-Gall, installé dans une halle aux locomotives, précisément !
Là, tout à coup, les trains ne gênent plus
On pourrait quand même distinguer entre le risque auquel exposer de manière permanente le patrimoine artistique vaudois et celui d’installations provisoires et éphémères !
Cette science des solutions imaginaires relève d’avantage du “docteur Faustrolle pataphysicien”
C’est faire beaucoup d’honneur au héros de Jarry que de lui attribuer un projet qui a eu l’assentiment de quelques personnes compétentes.
A cela s’ajoute toute absence de vision pour le Mudac et le Musée de l’Elysée.
Le Mudac est effectivement fort mal logé et il est urgent de réfléchir à lui trouver un réceptacle plus adéquat. Mais l’Elysée a une image forte et unique, liée tant au bâtiment qu’au parc qui l’entoure, et le noyer dans une structure commune sera lui faire perdre une partie de sa personnalité. S’il manque vraiment de place, c’est le Conseil d’Etat qu’il faudrait déménager …
Il en résulte un bricolage
Le fameux “Pôle” en est un autre, qui manque de cohérence et oublie de rappatrier le Cabinet cantonal des estampes.
La division préférée à un projet fédérateur porteur de collaborations
Faut-il absolument cohabiter sous le même toit pour collaborer ? Et le voisinage du MCBA avec l’Archéologie, les Médailles ou les Sciences naturelles, voire avec le Musée historique n’est-il pas lui aussi prometteur ?
de synergies
ah ! le grand mot passe-partout !
recréant un espace public
coincé entre les voies des CFF et une rue sacrifiée …
“tout rapprochement crée du sens”
Celui de la carpe et du lapin également. Ce n’est évidemment pas dans cette perspective que j’avais écrit cette phrase. Et bravo pour la citation sortie de son contexte !
…à première vue, à la lecture du nom de Junod, je me suis dit enfin un municipal lausannois qui rond la collégialité pour s’opposer à ce projet minable dans un espace résiduel, j’ai déchanté! Tout espoir n’est pas perdu, espérons que sur le fond, les arguments qui ne manquent pas fassent en sorte que les juge du TF donnent raison aux “proposants”. Ce qui me gêne aux entournures dans cette “affaire” c’est la nomination de Chantal Prod’hom comme Madame pôle muséal, directice actuellement du MUDAC et compagne de notre ministre Anne-Catherine Lyon? Ca fait penser à Mitterand et sa maîtresse…”et qui a pesé dans les choix culturels de l’ancien président: le musée d’Orsay, le grand Louvre et sa Pyramide, le jardin des Tuileries notamment, gardent la trace d’Anne Pingeot….” un cadeau empoisonné pour les Lausannoises et Lausannois! Par contre, que tous les privés propriétaires de bâtiments en note *2* au recensement architectural, s’en souviennent, ces bâtiments peuvent être non seulement transformés, mais démolis sans passer par les services de l’état concerné. Un vrai plus! Ce qui est franchement inacceptable, c’est qu’à Lausanne, les fossoyeurs du patrimoine bâti de qualité portent le titre de ministre en charge de la culture, au canton Brouilis, à la commune Brélaz! Au final, un terrain résiduel objet d’une opération purement spéculative au seul bénéfice du service immobilier des CFF qui dans l’échange a obtenu un terrain de la ville de Lausanne bien situé à Malley avec des énormes possibilités de construire. Encore une fois, dans cette transaction, les Lausannoises et Lausannois perdent sur toute la ligne. Merci qui?Déjà cité!