Lettre de Lima à un ami lecteur – Cherchez l’erreur qui a conduit à la barbarie de Nice!

Je les entends, comme toi, ces cris de tristesse, d’indignation et de colère.

PAR PIERRE ROTTET

Je les entends et les partage, comme toi, après l’horrible attentat de Nice. Un de plus, un de trop, comme le seront les suivants, en France ou ailleurs dans le monde.

Et puis aussi, je m’interroge, sur les vociférations politico-politiciennes des caciques de la droite et de la gauche françaises, sur leurs indécentes surenchères dans les accusations réciproques d’une responsabilité qu’ils se partagent pourtant. Oh combien largement, dans une surenchère politique tellement proche du caniveau. Tellement loin de la dignité.

Je les entends, ces politiques, vociférer et crier leur triste constat d’une France en guerre. Sur sol français s’entend. Et étranger! Mais de cela, on ne parle guère, où seulement lorsqu’est donnée en pâture à l’opinion l’impression que la France agit… réagit dirais-je. Pour le reste, on préfère taire les conséquences, et parfois souvent ne pas trop s’étendre sur les drames qui frappent des civils ailleurs.

Rideau! L’amnésie volontaire frappe Paris, tellement de médias, et même, oui même les Français en général, victimes et otages tout à la fois d’une tourmente et d’une spirale de la guerre que d’autres, en hauts lieux, ont décidé pour eux.

A peine en effet quelques voix, ici et là, plus ou moins discrètes, mais jamais vraiment martelées, pour faire les liens qu’il convient d’établir avec ce qui tombe sur la tête des Français et les guerres menées par ce pays depuis plusieurs années maintenant…

Depuis plusieurs années en effet, la France a souffert d’attentats terroristes parmi les plus graves commis dans les pays occidentaux, cible qu’elle est devenue peu à peu du terrorisme djihadiste, rappelle d’ailleurs à ce propos le quotidien espagnol «El Pais». Qui souligne que l’ensemble du territoire français est devenu le principal front de bataille contre la terreur, tout en rappelant que les forces armées françaises maintiennent activement d’autres fronts de bataille à l’extérieur du territoire français. Cela au point d’en faire le pays européen le plus actif dans le combat contre le djihadisme, contre l’Etat islamique, avec un président, Hollande, converti davantage en chef militaire permanent qu’en stratège d’une vraie politique sociale dans son pays.
Jamais sans doute la logique de guerre n’avait autant prévalu sous la présidence de Hollande. Faut dire que Sarkozy, le donneur de leçons, avait sonné la charge avec la Libye, avec les conséquences désastreuses et pour le moins chaotiques que nous connaissons aujourd’hui.

Vois-tu, à ce stade de ma lettre, je ne puis m’empêcher d’avoir quelques interrogations. Ou plus simplement trois observations.
Le premier constat est basé sur des faits objectifs. Paris a multiplié les interventions guerrières depuis 2001 dans 8 pays, dont 5 en Afrique. Dans ce continent, avec des interventions massives aériennes, en Libye, au Mali et au Tchad, mais également terrestres, au Tchad, et au Mali, en sus des actions de l’aviation. Les troupes françaises au sol ont en outre sévi en Côte d’Ivoire et en Centrafrique. Sévissent en Libye désormais. Cependant qu’au Proche et Moyen-Orient, la France s’illustrait par des frappes aériennes et des interventions terrestres en Afghanistan et qu’elle les intensifie, à l’heure ou j’écris ces lignes, en Irak et en Syrie. Avec les dramatiques «dégâts» collatéraux, vérifiés ou non. Reconnus ou non, ce dont on parle moins. Tellement moins. Et si tu ajoutes à ces actions guerrières le déploiement du porte avion nucléaire français le Charles de Gaulle dans le Golfe en appui des avions de combat français déployés en Jordanie…

Bref, tu l’as compris, ce débat-là n’existe pratiquement pas en France… Au même titre qu’aujourd’hui, la «grande et unique coalition», pourtant promise après les attentats par le président français. Une coalition qui s’est pour l’heure transformée en une simple coordination entre Paris, Washington et Moscou, s’agissant du largage de bombes, quoique avec des motifs différents concernant Paris et Washington. Pour le reste, mais là non plus, on ne s’y arrête pas ou pratiquement pas: sur les seize pays impliqués au départ dans cette «grande coalition», il en reste 11, tous occidentaux, dont trois y vont de leurs frappes. Les cinq  pays arabes, dont l’Arabie Saoudite, ont d’autres bombes à fouetter, en Yémen, notamment…

Dans le même ordre d’idée, j’ai lu avec attention le magazine «The National Interest», qui tente d’évaluer l’équilibre des puissances militaires d’ici 2030, c’est-à-dire «lorsque les principales armées du monde s’adapteront au changement de la nature des hostilités». On y trouve, dans l’ordre indiqué par la revue: l’Inde, la France, la Russie, les Etats-Unis et la Chine. Les fabricants de morts ont encore un bel avenir devant eux. Y compris Dassault, qui se frotte les mains avec les guerres qu’enquille la France.

Ma seconde réflexion maintenant! En levant haut l’étendard de l’interventionnisme en Syrie, qui a conduit au b… qui domine dans ce pays, en n’apprenant pas des erreurs de l’intervention en Libye quelques années auparavant, il ne fait pas de doute que la France s’est rendue vulnérable, en jouant les apprentis sorciers, les sorciers tout court, en se donnant le droit de s’immiscer dans des affaires de pouvoir hors de leurs compétences, en manipulant des pions à sa convenance, pour son seul profit. Même si aujourd’hui, Paris à beau jeu – comme le monde occidental d’ailleurs – de justifier son action à cause des menaces que l’ont sait.

En avançant, cette fois avec raison, même si on n’est pas sorti de l’auberge, la sécurité contre ces fous qui prennent l’Islam et Dieu pour prétexte, pour attiser leur haine? Dans le même ordre d’idée, je n’arrive pas à comprendre pourquoi la France – les grandes puissances occidentales, Etats-Unis en tête -, ont volontairement, il faut bien le dire, appuyé de façon ostentatoire les monarchies du Golfe, l’Arabie Saoudite en particulier, en jouant une – ou des – communauté religieuses contre l’autre. En oubliant que ce conflit – cette guerre – religieux (se) concernait les musulmans. Et les musulmans uniquement. On est intervenu, en misant sur l’une au détriment de l’autre, pour des motifs d’intérêts supposément stratégiques. Bassement commerciaux, sûrement. Les effets sont aujourd’hui dramatiques et dévastateurs sur les populations locales, sunnites et chiites selon, du Pakistan au Liban.

Cette réflexion, vois-tu, entraîne la troisième. La dernière. Depuis bon nombre d’années, gauche et droite, en période électorale principalement, semblent se préoccuper – avec raison, dit en passant – de la montée de l’extrême-droite, prêts, les uns les autres à toutes les concessions y compris les moins envisageables, pour faire barrage au FN dont ils ont pourtant creusé le nid, tracé le sillon, forgé la voie. En oubliant ce faisant une autre montée, celle d’un islam salafiste sur sol français. Au point que l’imam français Abdelali Mamoun déclarait ce printemps que «la principale référence de l’islam de France était le salafisme».

Aujourd’hui, confirmait du reste Bernard Godard, qui a longtemps suivi les affaires liées à l’islam au bureau des cultes du ministère de l’intérieur, les lieux de prière sous influence salafiste seraient une centaine sur un total de 2300 dans l’hexagone. Or, et tu le sais sans doute, le salafisme n’est autre que ce mouvement radical musulman, intégriste, extrémiste, fanatique, sans tolérance ni concession à l’égard des autres, qui professe une charia pure et dure. Celle-la même dont s’inspire daech, manipulateur d’une religion qui n’existe que dans la tête de ceux qui n’ont pour ambition que la haine, la violence et la barbarie d’un Etat islamique terroriste… Qui, dit en passant, n’est rien d’autre, d’un point de vue «théologique», si j’ose, que l’émanation de la néfaste influence de l’Arabie Saoudite. Comme daech, cette dernière coupe des têtes, mutile les corps, méprise la femme. Le premier est combattu par les pays occidentaux, le second fait ami-ami avec ces derniers. Y compris et surtout avec la France, grande pourvoyeuse d’armes aux rois du pétrole…

Cherche l’erreur… qui a conduit, qui conduit, à ce bout de chemin qui mène à la dérive, à la radicalisation, à la barbarie qui a eu raison de la vie d’innocents le 14 juillet à Nice. Et ailleurs!

PS: A peine si nous en avons entendu parler. Et pourtant: près de 60 civils dont onze enfants ont été tués mardi 19 juillet 2016 dans des raids de la coalition menée par les Etats-Unis, dont fait partie la France, justement, dans la province d’Alep, selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH). Des avions de la coalition ont mené à l’aube des frappes alors que les habitants fuyaient les combats dans le village d’al-Toukhar, près du fief jihadiste de Minbej, a indiqué Rami Abdel Rahmane, directeur de l’OSDH. Interrogée par l’AFP, la coalition a reconnu via courriel avoir «récemment» procédé à des frappes près de Minbej et être consciente des informations sur la mort de civils. Sans doute parlera-t-on d’erreur. De regrettable erreur, qui aura pour corollaire de quoi nourrir tant d’autres ressentiments, d’alimenter d’autres haines! Deux ou trois jours auparavant, l’aviation russe avait elle aussi bombardé et tué 21 civils.

PS encore: Trois militaires français ont été tués en Libye, a confirmé le 20 juillet le ministère français de la Défense, lequel admet pour la première fois la présence de soldats français dans ce pays. Va comprendre! En ce qui me concerne, je me demande bien où cet engrenage voulu par Paris va conduire les Français. Qui ne savaient même pas que leurs militaires guerroyaient au sol en Libye. Si loin de Nice…

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2 commmentaires à “Lettre de Lima à un ami lecteur – Cherchez l’erreur qui a conduit à la barbarie de Nice!”

  1. Pierre Rottet 22 juillet 2016 at 12:00 #

    Mais qu’est-ce que le pouvoir, le gouvernement français, et donc aussi le Parquet de Paris, ont à cacher? Juste cette info, du «Figaro». Incroyable mais vrai, après les accusations de «Libération», enquête journalistique à l’appui.

    Figure-toi qu’une réquisition judiciaire urgente a été envoyée au centre de supervision urbain de Nice mercredi 20 juillet. Le Parquet de Paris, donc la justice, demande à la ville de Nice, à la mairie, de détruire 24 heures d’images. Le Parquet évoque un souci «d’éviter la diffusion non contrôlée de ces images». Tu parles.

    Mais qui donc peut encore croire le gouvernement et la justice, qui utilisent une telle ficelle. Ils sont sidérés, les agents du centre de supervision urbain de Nice. «C’est la première fois que l’on nous demande de détruire des preuves, précise une source proche du dossier», citée par le «Figaro».

  2. Bernard Walter 22 juillet 2016 at 12:34 #

    Ça, c’est une indication de plus sur les moeurs politiques du jour, sur la marche inexorable vers des régimes de plus en plus autoritaires dans nos pays. Le très mauvais signe de cette information, c’est qu’une telle pratique arbitraire est le fait d’un gouvernement socialiste.

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