La guerre est à nouveau ouverte entre propriétaires et locataires.
PAR ALBERT TILLE
Hans Egloff lance le premier missile. Ce conseiller national UDC zurichois, par ailleurs président de l’association alémanique des propriétaires, dépose une première initiative parlementaire (un projet de loi) contre la protection des locataires en juin 2016 et une autre en septembre 2017.
Il est secondé par le conseiller national PLR vaudois Olivier Feller qui a contresigné les initiatives Egloff et dépose sa propre initiative. Logique. Olivier Feller chapeaute la Fédération romande immobilière.
Le jeune PLR valaisan Philippe Nantermod, président de l’Union suisse des professionnels de l’immobilier, devient le troisième homme en déposant une initiative en décembre 2017.
Si les milieux immobiliers sont bien représentés au Parlement, il en est de même des défenseurs des locataires. Et largement. Le président de l’Association suisse des locataires (Asloca), le PS genevois Carlo Sommaruga, siège au Conseil national en compagnie de 5 autres membres de son comité central.
Les milieux immobiliers vivent une situation particulièrement favorable, profitant de la pénurie qui fait grimper les loyers et pénalise les locataires. S’ils ouvrent les hostilités, c’est parce que la situation politique est favorable aux propriétaires.
L’offensive débute après les élections fédérales qui ont donné dès 2016 une majorité PLR/UDC au Conseil national. Si elle ne surgit en public qu’en ce début 2018, c’est parce que la procédure pour le traitement d’une initiative parlementaire étale les confrontations dans le temps. Il faut d’abord qu’une initiative fasse l’objet d’une décision par la commission compétente de chaque Chambre avant qu’elle puisse accéder aux plénums.
L’initiative Egloff, la plus ancienne, a été examinée la première. La commission du Conseil national présidée par un UDC a été ultrarapide. Elle a approuvé l’entrée en matière sur l’initiative par 18 voix contre 6 quelques jours après son dépôt. Au contraire, la commission des Etats, présidée par un Vert, a différé son examen jusqu’au printemps 2018. Silence pendant de longs mois.
Ce n’est donc qu’en ce début d’année que surgit la réplique des locataires au projet Egloff. L’Asloca appelle ses sympathisants à signer sur le Net une lettre ouverte à la commission du Conseil des Etats l’invitant à rejeter fermement cette première initiative et à clore le débat. Succès rapide: 16’000 signatures en moins d’un mois. Et la collecte se poursuit.
Le loyer initial qui fâche
L’initiative Egloff entend cadrer étroitement la contestation du loyer initial. Cette disposition du droit du bail (art. 270 CO) permet au locataire de contester dans les 30 jours le montant du loyer de son nouveau logement. La contestation est possible dans trois cas de figure:
- si le locataire a été contraint de signer le bail à cause de la pénurie de logements;
- s’il a été acculé à signer le bail par nécessité personnelle ou familiale (déménagement pour cause de divorce, naissance, changement d’emploi, etc.);
- si le loyer de l’appartement a été sensiblement augmenté (de 10% et plus selon la jurisprudence).
Hans Egloff estime qu’il est contraire à la bonne foi de signer un bail et de le contester immédiatement. Par son initiative, il veut permettre la contestation seulement dans des cas exceptionnels, lorsque le locataire a été contraint de conclure par nécessité personnelle ou familiale. L’Asloca estime qu’il s’agit d’une diminution drastique du droit des locataires à agir contre les loyers exagérés. Et pourtant, la Constitution (art.& 109) oblige la Confédération à légiférer contre les loyers abusifs.
Le verdict de la commission du Conseil des Etats devrait tomber prochainement. Sa composition politique, où PLR et UDC ne sont que 5 sur 13, laisse prévoir que l’initiative Egloff sera recalée. Le même sort devrait être réservé aux trois autres initiatives limitant la protection des locataires: celle d’Olivier Feller qui entend redéfinir le rendement abusif d’un logement (art. 269 CO), celle de Philippe Nantermod sur le même article, et la deuxième initiative Egloff sur le calcul du loyer usuel du quartier.
Pour occuper le terrain, l’Asloca s’est entendue avec le conseiller aux Etats PS neuchâtelois Didier Berberat qui a déposé lui aussi une initiative parlementaire pour consolider la lutte contre les loyers abusifs. Elle sera, à n’en pas douter, rejetée par la commission des affaires juridiques du Conseil national.
Le combat des propriétaires contre les locataires, devenu combat du Conseil national contre le Conseil des Etats, devrait se conclure par un match nul, zéro à zéro.