Chronique indienne – “Demain, c’est Holi, je ne laisse pas sortir les femmes de l‘hôtel!”


Pas eu le temps de goûter tout de suite au calme revenu à Auroville après la visite du premier ministre indien.

PAR CAMILLE FOETISCH, Auroville

Son discours assez convenu n’aura laissé de traces qu’auprès des naïfs et des instances dirigeantes et indiennes d’Auroville. Ce discours a été écrit par un autre sur indications, en plus il a été lu – paraît-il – sur un prompteur… Une mise en scène préparée de longue date pour quelques heures dont Auroville se glorifiera longtemps, alors que l’essentiel, lui, est ailleurs…

Merci M. Modi, quand-même, grâce à vous, nous avons quelques routes en dur et sans gendarmes couchés, soit un peu moins de poussière, mais plus de pollution et de danger car les motards font des records de vitesse !

Répondant à une envie d’ailleurs, de nouveauté, même de défi, suis partie aux sources d’une spiritualité indienne, mais de beaucoup de superstition aussi, à Bénarès, un mot qui est plus évocateur pour moi que le nouveau nom de Varanasi, donné par les fondamentalistes hindous.

Expérience étonnante que le voyage et séjour à Varanasi. Arrivée de nuit, un taxi m’emmène à travers des rues étroites, dans une circulation chaotique, jusqu’au bord de la ville ancienne. Là, un guide-porteur m’attend pour m’emmener à l’hôtel. J’arrive à peine à suivre mon guide, car il s’agit d’éviter les tas de gravats et d’ordures en tous genres, les beuses des nombreux bovidés qui circulent librement dans ces ruelles, les motos qui vous foncent dessus, bref, un vrai gymkhana !

L’hôtel est sympa, plutôt le patron est sympa. L’hôtel, lui, croule sous la poussière. Les draps sont propres, mais ont connu des jours meilleurs… J’habiterai pendant cinq jours sous le toit-terrasse, couvert et entouré sur 4 côtés de grillage.

Le patron m’avertit tout de go : « Demain, c’est la fête des couleurs Holi et je ne laisse pas sortir les femmes de l’hôtel jusqu’en fin d’après-midi. Trop dangereux, les hommes deviennent fous de couleurs, de musique, de tambour … et d’alcool. » Donc, ok, restons à couvert. Il avait pleinement raison, le brave homme !

Holi passé, plus de risque de recevoir une giclée de rouge ou de bleu dans le visage ou dans le dos, je me suis lancée dans le lacis de ruelles. Un labyrinthe, chaque ruelle offre une nouvelle surprise, une grosse vache noire passant nonchalamment – il faut alors se plaquer contre le mur ; le sport, ça a été pour moi d’éviter de marcher dans une beuse ou les nombreux cacas de nombreux chiens, singes et autres bestioles y trouvant leur subsistance, zigzagant entre les tas d’ordures qui brûlent au milieu de la rue… ce qui donne au paysage un côté bas-fonds inquiétant. Mais aussi, au détour d’une ruelle, des maisons – qui furent – splendides, des pans de palais habité par des chèvres, décorés de fresques colorées.

Et les ghats, ces marches et escaliers qui descendent des derniers bâtiments de la ville vers le Gange. On peut longer le Gange sur des kilomètres de ces ghats, toute une vie s’y déroule : les enfants y trouvent un espace pour y faire voler leurs cerfs-volants, les animaux et les êtres humains s’y baignent, s’y lavent, s’y purifient, s’y reposent. Mais aussi, les Indiens indous y viennent des quatre coins du pays pour y finir leurs jours et purifier leur corps par les flammes, dans des rituels complexes.

Atmosphère étrange que ces crématoires, les femmes n’assistent pas à la crémation en mémoire de la tradition qui voulait qu’une épouse soit brûlée vive sur le bûcher de son mari défunt. Les nouveau-nés, les femmes enceintes, sont directement mis dans le fleuve, les lépreux, les victimes de morsures de serpents sont brûlés dans un lieu à part ou alors jetés dans le fleuve, m’a expliqué un des nombreux bénévoles qui s’occupent de ces lieux.

On ne s’y attarde pas trop d’ailleurs… même s’ils exercent une fascination.

La vie et la mort s’y cotoient et sont abordés avec ce détachement et une apparente nonchalance si souvent observés en Asie, mais tout y est fait pour laisser l’âme du défunt poursuivre sa route sans l’attachement de la famille.

C’est une plongée dans le temps et l’espace, l’impression que le temps se dilate.

On ne sort pas indemne d’un séjour à Varanasi. Il faut du temps pour revenir à soi et au 21e siècle.

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Un commentaire à “Chronique indienne – “Demain, c’est Holi, je ne laisse pas sortir les femmes de l‘hôtel!””

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    François Meylan 19 mars 2018 at 08:38 #

    Chère Camille,
    Merci pour ce récit. Et pour partager avec nous cette puissante immersion dans une culture exotique baignée par de lourdes traditions que l’on peine à imaginer, accaparée entre notre smartphone et notre liste à commissions chez Coop ou Migros. Effroyable est le sort réservé jadis aux malheureuses veuves et aux infortunés. Spinoza avait finalement raison. À l’état naturel, les notions du bien et du mal n’existent pas.
    Bon retour Camille et encore merci.

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