A la redécouverte d’une néo-impressionniste bernoise


Qui connaît encore aujourd’hui le nom de Martha Stettler (1870-1945)?

PAR PIERRE JEANNERET

Le Musée des beaux-arts de Berne a eu l’excellente idée de nous proposer une rétrospective de son œuvre picturale, la première de cette envergure depuis trente-cinq ans. Et, manifestement, ses toiles enchantent le public.

Martha Stettler est née dans une famille ouverte aux arts. Son père Eugen, illustre mécène, fut l’architecte qui construisit le musée où a lieu aujourd’hui l’exposition. Elle suivit une formation académique, ce dont témoignent ses dessins et ses premières toiles. On remarquera une belle Nature morte à la tasse de Nyon (1891), dans la grande tradition hollandaise. Puis sa palette se fait plus lumineuse.

Dès 1904, et jusqu’à sa mort, Martha Stettler va vivre à Paris. Elle n’oubliera cependant pas ses origines suisses. Elle revient régulièrement dans son pays, où elle peint les Alpes. Ses toiles rendent bien la puissance des glaciers et des rochers. Elle a laissé aussi des vues intéressantes de sa ville natale. Son Cortège de la Fête de tir, qui défile sous les drapeaux et banderoles dans la Vieille Ville de Berne, laisse clairement percevoir l’influence de Monet, dans ses représentations du 14-Juillet.

Mais c’est bien à Paris que se déroule l’essentiel de son activité picturale. C’est là aussi qu’elle a donné le meilleur de son œuvre. En 1906, elle emménage avec sa compagne de vie, l’artiste danoise Alice Dannenberg, dans une maison-atelier située à proximité du jardin du Luxembourg. Et celui-ci, avec les Tuileries, sera l’un des thèmes majeurs de son œuvre. Elle y peint des enfants de la bourgeoisie avec leurs gouvernantes en robe à carreaux et bonnet sur la tête. Par là même, elle donne une image de la société française de l’époque, avec ses classes sociales. Elle excelle à représenter sur la toile les petits enfants, notamment les fillettes dans leurs jolies robes blanches. Les visages ne sont guère individualisés, comme si l’artiste voulait montrer non pas des enfants particuliers, mais la quintessence de l’enfance, qui est saisie dans ses activités, par exemple en train de lire ou de jouer. Martha Stettler fait preuve aussi d’une grande maîtrise dans le traitement des plans d’eau, avec leurs reflets.

L’artiste a peint également des scènes d’intérieur, dans une veine qui rappelle un peu Bonnard ou Vuillard, notamment par l’intimisme et la présence de meubles et de tentures. Les enfants y sont à nouveau présents, avec l’accessoire favori de la peintre, une poupée. On peut sentir dans ses toiles une tendresse «féminine», comme celle qui marque l’œuvre de Berthe Morisod… mais aussi de Renoir. On remarquera enfin ses dons de coloriste, en particulier l’éclat des rouges dans ses bouquets et jardins.

Cela dit, Martha Stettler fut aussi une féministe engagée… à une époque où Hodler proférait son diktat: «Mir wei kener Wyber!» (Nous ne voulons pas de femme, sous-entendu dans les ateliers de peinture). Au contraire, avec d’autres artistes, femmes et hommes, elle créa en 1904 à Paris l’Académie de la Grande Chaumière, où elle compta notamment parmi ses élèves Alberto Giacometti, Meret Oppenheim et Louise Bourgeois. Cette femme peintre injustement oubliée méritait donc d’être sortie de l’ombre, et cela par une exposition attachante et de qualité.

Signalons en passant une autre exposition, dans le même espace du Musée des beaux-arts de Berne: la deuxième partie de la présentation du sulfureux legs de Hildebrand Gurlitt, largement composé de tableaux achetés à bas prix, sous la contrainte, à des Juifs dans l’Allemagne hitlérienne ou dans les pays occupés, ou tout simplement volés à leurs propriétaires. C’est l’occasion de voir des toiles magnifiques de Lucas Cranach, Pieter Brueghel, Gustave Courbet ou Claude Monet. Mais surtout de prendre connaissance, à travers des panneaux explicatifs, des spoliations nazies (jusqu’au 15 juillet).

«Martha Stettler. Une impressionniste entre Berne et Paris», Berne, Musée des beaux-arts, jusqu’au 29 juillet 2018.

Domaine Public

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