Vers la fin des salles de cinéma?


Le cinéma en salle va-t-il mourir? Cette question aurait semblé sans objet il y a 10 ans. Netflixn’existait pas; les séries télévisées, à quelques exceptions près, n’avaient pas un niveau de qualité suffisant pour faire concurrence au grand écran. Et il fallait acheter des DVD pour constituer une filmothèque chez soi. 

La réponse aurait encore été rassurante voici 5 ans. Le nombre et la qualité des séries télévisées avaient certes explosé. Elles devenaient le principal, sinon le seul accès d’un public jeune aux fictions sur écran. Les nouvelles générations prendraient-elles l’habitude de se rendre dans les salles obscures pour voir d’autres histoires que celles des super-héros sauvant le monde face à d’affreux méchants? Il était possible de rester optimiste. Après tout, peu importe ce que vous allez voir au cinéma; ce qui compte, c’est d’y aller et votre goût se diversifiera peu à peu.

Le saut qualitatif des séries télévisées 

Aujourd’hui la survie des salles de cinéma n’est plus du tout évidente et leur disparition devient possible. En cause l’augmentation continue et considérable de la qualité des fictions télévisuelles. Cette qualité ne tombe pas du ciel. Le nombre d’écoles de scénarios a explosé dans les universités. Elles font maintenant l’objet de classements aux Etats-Unis, et l’Europe ou la Suisse ne sont pas en reste.

Le niveau de formation des comédiens est également de plus en plus élevé. Il suffit d’aller dans n’importe quel théâtre pour se rendre compte que la prestation d’acteurs inconnus dans un second rôle atteint aujourd’hui un haut niveau. Comme dans n’importe quel métier, la qualité est d’abord liée au niveau de formation de tous les professionnels concernés. Ceux-ci abondent sur le marché et désormais de nombreuses productions télévisuelles équivalent un très bon film de cinéma. 

Pour le spectateur qui reste à la maison, les progrès techniques sont également considérables. Mentionnons simplement le replay qui permet pendant une semaine de voir l’épisode ou le film que vous avez raté, sans parler de la taille des téléviseurs. Il est aujourd’hui possible, pour un prix raisonnable d’installer chez soi des écrans géants qui, correctement utilisés, vous rapprochent davantage des conditions de projection d’une salle de cinéma que de la télévision de papa.

Le rôle décisif de Netflix

Mais, bien sûr, l’essor de la vidéo à la demande constitue le changement essentiel avec des plateformes comme Netflix qui offrent la possibilité pour moins de 23 francs par mois en Suisse d’accéder à un catalogue immense de films et de séries. Netflix, qui enregistre environ 140 millions d’abonnés dans le monde, réalise en 2018 un chiffre d’affaires de 15,8 milliards de dollars et un bénéfice net de 1,2 milliard de dollars. L’entreprise n’a aucune peine à lever des fonds, puisqu’elle a investi 8 milliards de dollars dans la production en 2018. Naturellement ces investissements sont exclusivement réservés à la diffusion télévisuelle et les films au format «cinéma» ne sortent pas en salle. 

Netflix parvient à attirer les plus grands réalisateurs, Alfonso Cuaron, les frères Coen, Martin Scorcese, Guillermo del Toro et d’autres. Le cas emblématique dont tout le monde parle, Roma, film du Mexicain Alfonso Cuaron, Lion d’or à Venise, va sans doute rafler de nombreuses récompenses lors de la cérémonie des Oscars à la fin février.

Or pour être sélectionné aux Oscars, un long métrage doit être diffusé en salle. Netflix a donc organisé une sortie sans aucune publicité pendant une durée limitée, y compris à Genève pour la Suisse romande. Cette plateforme se pose même en défenseur du cinéma indépendant face aux grands studios qui ne produisent plus que des suites et des films de super-héros. Ironie de l’histoire, ce sont les difficultés de Harvey Weinstein, l’un des grands producteurs du cinéma indépendant intelligent à Hollywood, difficultés d’ailleurs antérieures à sa chute, qui ont sans doute facilité l’essor des productions Netflix.

Le déclin des salles obscures helvétiques

Et en Suisse, ce maelstrom qui emporte le cinéma mondial a-t-il déjà eu des conséquences sur la fréquentation des salles? Difficile à dire faute de données complètes publiées pour 2018, mais les premières estimations sont assez inquiétantes.

Il faut tout d’abord remarquer que la fréquentation des cinémas peut énormément varier d’une année à l’autre en fonction de la programmation ou simplement de la météo. Ainsi en Suisse alémanique, en 2016, la fréquentation a baissé de 11,1% par rapport à 2015, alors qu’elle progressait de 2,8% en Suisse romande. Situation inverse en 2017 avec un rattrapage de l’autre côté de la Sarine de 3,17% et une baisse de 3,05% en Suisse romande en comparaison avec l’année précédente.

Pour 2018, les chiffres pour les 25 films ayant eu le plus grand succès sont publiés et les résultats sont très inquiétants. Par rapport à la même statistique de 2017, les résultats sont identiques dans les deux principales régions linguistiques: une baisse de 11%. Or, les 25 plus grands succès représentent plus des deux tiers du total des entrées. Il est donc peu probable que le résultat définitif soit très différent.

Alors, la météo? L’été invraisemblablement long et chaud que nous avons connu est peut-être une explication, mais si la baisse se confirme ou s’accentue en 2019, ce sera le signe du début d’une crise profonde et d’une glissade difficile à freiner.

Jacques Guyaz

Domaine Public

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