Le Brexit est une chance pour l’Europe

Le séisme qui secoue actuellement la Grande Bretagne vient de loin. La crise constitutionnelle, les 2 millions de manifestants le samedi 23 mars dernier dans les rues de Londres, la chute probable cette semaine de Theresa May, et même le référendum de 2016 ne sont que l’aboutissement de plus de 40 ans de turbulences entre ce pays et le reste du continent européen.

De fait, l’issue de ce référendum était inévitable dans la perspective historique longue, car le Royaume Uni a toujours été tiraillé – voire écartelé – d’une part entre le Commonwealth qui fut sa zone d’influence quasi naturelle, et l’Europe d’autre part où il fut moins dominant. La débâcle était en effet gravée dans le marbre de la construction européenne car l’union douanière fut le cauchemar britannique qui dut dès lors choisir l’Europe au détriment du Commonwealth, alors que la définition d’une zone de libre-échange intra européenne l’aurait autorisé à gagner sur les deux tableaux en conservant ses relations préférentielles avec ses anciennes colonies. L’hostilité des britanniques à la construction européenne provient donc du choix qui leur fut originellement dicté d’intégrer une union douanière…qu’ils ne cessèrent néanmoins de tenter de saboter car non conforme à leur doctrine ni à leurs intérêts vitaux. Dès le départ, les institutions supra-nationales, l’intégration européenne et la volonté profonde du continent de ne plus réitérer les graves erreurs ayant provoqué deux guerres mondiales, ne furent pas comprises ni admises par une nation britannique qui penchait plutôt en faveur de processus décisionnels informels.

Ce sont ces tensions qui se déclinent en autant de facteurs liés à l’Histoire, à l’hégémonie du naguère Empire Britannique, aux échanges commerciaux et à l’influence politique voire civilisationnelle de cette nation qui furent incontestablement à l’œuvre dans le cadre du référendum de 2016. Au-delà des partis politiques, des sensibilités diverses et des classes sociales, l’identité même des britanniques permettait de prévoir la grave crise actuelle. Souvenons-nous de la répartie de Hugh Gaitskell, leader à la fin des années 1950 d’un parti pourtant réputé europhile – les travaillistes – clamer que l’adhésion de son pays à une Communauté européenne sonnerait « la fin de mille ans d’histoire » ! Les paradoxes de ce Brexit sont donc nombreux, et l’on n’a pas encore fini de les apprécier, ou de les découvrir.

Tandis que la Royaume Uni était censé reprendre le contrôle de sa destinée – en tout cas selon les tenants du Brexit -, alors que la sortie du pays sans accord constituera tout au plus une égratignure pour l’Union Européenne dont seulement 10% du commerce se fait avec la Grande Bretagne, le « no deal Brexit » sera un choc massif et sans précédent pour l’Angleterre dont la moitié des échanges se fait avec le continent ! Autre contradiction inhérente au Brexit : la pacification des relations entre le Royaume Uni et l’Irlande s’est précisément réalisée à la faveur de l’adhésion de ces deux pays à l’Europe. Sans projet européen et sans union douanière, pas de réconciliation ni de normalisation entre Angleterre et Irlande !

Le Brexit n’est donc pas seulement une volonté britannique de sortir de l’Europe. Il est aussi – et peut-être surtout – un geste d’humeur et un réflexe ultime pour répudier cette Europe-là dont les britanniques sentent confusément qu’elle déconstruit lentement mais sûrement leur identité après avoir sapé leurs intérêts légitimes. En creux, le Brexit, le rejet britannique est une chance pour l’Europe car il permet de révéler enfin la nature profonde de l’Union Européenne qui, après avoir été projet pour ramener la paix et instaurer une union douanière et monétaire, doit désormais d’urgence devenir construction politique. Quant à la Grande Bretagne, plus ancienne démocratie parlementaire au monde, ses convulsions actuelles montrent qu’elle est plus que jamais une nation gouvernée par les partis, pour les partis.


Michel Santi

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