Libre-échange et démocratie directe


On se souvient des résistances belges en 2016 lors de la ratification du traité de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne (Ceta), incarnées par Paul Magnette, alors ministre-président socialiste de la Wallonie.

En cause, le nivellement par le bas des standards de protection sociale et environnementale, de même que les compétences d’arbitrage conférées à des instances non étatiques; les opposants invoquaient également une contradiction avec l’Accord de Paris sur le climat.

La Suisse aura aussi droit prochainement à ses débats passionnés en la matière: l’accord de libre-échange avec l’Indonésie a été soumis aux Chambres pour ratification; le traité de libre-échange avec le Mercosur (Marché commun du Sud, en espagnol Mercado Común del Sur, regroupant l’Argentine, le Brésil, l’Uruguay, le Paraguay et le Venezuela) suivra prochainement.

Ces accords portent entre autres sur la politique agricole. Inutile de dire que la suppression des barrières douanières pour certains produits emblématiques de l’agrobusiness nuisibles au climat et à la biodiversité (huile de palme en Indonésie, soja au Brésil) provoque une levée de boucliers dans certains milieux agricoles et dans les organisations environnementales. Il faut dire que les feux et la déforestation en Amazonie, quelles qu’en soient l’ampleur et les causes, forcément multiples, sont particulièrement inquiétants vu le rôle joué par cet écosystème dans les équilibres biologiques planétaires.

Le précédent chinois

Les arrêtés de ratification soumis aux Chambres pour ces deux traités seront-ils soumis au référendum facultatif? Voilà la question que beaucoup se posent à l’heure de préparer les débats parlementaires. Et la messe n’est pas encore dite, car l’incertitude juridique semble être à la hauteur de l’enjeu politique.

Que l’on se rappelle des passes d’armes au Parlement en 2013 à propos de l’accord de libre-échange avec la Chine. Le camp bourgeois, y compris de nombreux élus UDC pour qui la démocratie directe avait subitement perdu tout intérêt, avait fait bloc pour soustraire l’accord à toute possibilité de référendum.

Selon la Constitution fédérale (art. 141 al. 1 lit. d), les traités internationaux – en réalité les arrêtés de ratification de chaque traité – doivent être soumis au référendum facultatif s’ils: 1) sont d’une durée indéterminée et ne sont pas dénonçables; 2) prévoient l’adhésion à une organisation internationale; 3) ou contiennent des dispositions importantes fixant des règles de droit ou dont la mise en œuvre exige l’adoption de lois fédérales.

Ces trois hypothèses sont alternatives et non cumulatives. Si les deux premières ne se posent pas, la troisième hypothèse est plus délicate, vu sa formulation indéterminée. Il s’agit d’une extension récente des droits populaires en matière de traités introduite à l’initiative de la commission des droits politiques du Conseil des Etats au début des années 2000 (entrée en vigueur en 2003).

Pour l’accord de libre-échange avec la Chine, Conseil fédéral et Parlement avaient jugé que les conditions d’application de cette troisième hypothèse n’étaient pas remplies. Cette position avait été critiquée par de nombreux constitutionnalistes, qui y avaient décelé une interprétation plus politique que juridique de la Constitution relevant d’une volonté à peine dissimulée de ménager le grand partenaire commercial chinois.

Suite notamment à cet épisode, le Conseil fédéral a mis en consultation un projet de loi fédérale prévoyant de soustraire systématiquement au référendum facultatif les accords de libre-échange dits «standard», qui seraient donc approuvés par arrêté fédéral simple. Selon le Conseil fédéral, un accord est standard si son contenu est comparable à celui d’accords conclus précédemment et si, en comparaison avec ces derniers, il n’entraîne pas d’engagements supplémentaires importants pour la Suisse. Autant dire que la clarification proposée n’en était pas vraiment une… et que le spectre d’une consolidation de la pratique «chinoise» n’était pas très loin.

Le résultat de la consultation a été négatif, si bien que le Conseil fédéral a abandonné ce projet de révision. Hasard du calendrier, cette annonce, étonnamment peu commentée, est tombée quelques jours à peine après la communication de l’aboutissement des discussions sur l’accord avec le Mercosur.

La situation actuelle est donc la suivante: la Constitution fédérale prévoit qu’un traité soit soumis au référendum facultatif s’il contient des dispositions importantes fixant des règles de droit; le Conseil fédéral a abandonné une révision légale qui prévoyait de restreindre la portée de cette disposition. Tout indique donc que les traités de libre-échange d’importance, comme celui avec l’Indonésie et celui avec le Mercosur, devront être soumis au référendum facultatif.

Le Mercosur comme l’Indonésie?

Dans la foulée de l’abandon de la révision précitée – et probablement conscient de la fragilité de sa position sur l’accord avec la Chine – le Conseil fédéral propose de soumettre le traité avec l’Indonésie au référendum facultatif. Il revient aux Chambres de trancher désormais.

Quant au traité avec le Mercosur, le Message du Conseil fédéral n’est pas encore publié, ce dernier ayant annoncé la signature du traité pour la fin de l’année ou le début de l’année 2020. Pourquoi, face à l’inquiétude qui gronde, le Conseil fédéral ne rassure-t-il pas tout le monde en annonçant qu’il proposera au Parlement de soumettre l’accord au référendum populaire?

Poser la question, c’est déjà en partie y répondre: on ne peut s’empêcher d’y voir une nouvelle velléité politique de ménager le partenaire commercial en escamotant les droits populaires. Car si l’accord est ouvert au référendum facultatif, on peut gager que référendum il y aura bel et bien…

Raphaël Mahaim

Domaine public

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