Après l’affaire du Salvator Mundi, Leonardo da Vinci est à nouveau l’otage d’une polémique médiatisée. Au terme d’une sordide négociation franco-italienne, où l’on jouait Raphaël contre Léonard, les deux ministres de la culture sont convenus d’échanger des tableaux pour leurs expositions respectives.
Ce n’est certes pas la première fois que des œuvres d’art servent d’atouts ou de munitions à des tractations diplomatiques, parfois d’ailleurs au mépris de leur fragilité. La Vénus de Milo, prêtée par Malraux en 1964, n’était pas revenue indemne du Japon, et la Joconde, qui fit aussi le voyage dix ans plus tard, n’a échappé que de justesse à celui que voulait lui imposer récemment Françoise Nyssen à des fins de politique régionale.
Or voilà que vient d’être rejeté le recours déposé par une association de défense du patrimoine, Italia nostra, contre le prêt au Louvre d’un dessin de Léonard, L’homme de Vitruve, conservé à l’Accademia de Venise. Cette décision, de pur opportunisme, met en évidence une fois de plus le fétichisme qui anime tant le marché de l’art que son utilisation publicitaire. Cette œuvre, ultra-célèbre et reproduite partout, aurait aisément pu être remplacée par un facsimile, car contrairement à la peinture, rien n’est plus facile que de reproduire un dessin. Personne ne s’en serait aperçu, surtout avec les conditions d’éclairage imposées (25 lux). Et s’il peut être utile de rassembler deux tableaux pour les comparer et les étudier, à des fins d’attribution par exemple, rien de tel en l’occurrence. Seul le fétichisme de l’original unique peut expliquer l’opération. Le transport du dessin n’apportera donc aucune information à la recherche et n’aura pour effet que d’allonger la queue à l’entrée d’une exposition de prestige, de flatter l’ego des commissaires et de remplir les caisses du musée.
Philippe Junod
