Ah, quel coup de génie ! A la veille de la nouvelle année, quand tous les regards sont tournés vers 2020, le grand marionnettiste de la bagnole, Carlos Ghosn (photo capture d’écran) prend la poudre d’escampette et quitte sa résidence japonaise pour le soleil de Beyrouth. L’homme le plus surveillé du Japon, emprisonné depuis novembre 2018, privé de ses passeports, interdit de communication, s’est fait la malle. Battu, James Bond ! Ridiculisé, John Le Carré ! On l’avait un peu oublié, l’arrogant shogun tombé dans les terribles geôles japonaises, victimes des ses redoutables seigneurs de Nissan et des effrayants procureurs de l’Empire du Soleil levant. Enfin, ça c’est la version des thuriféraires de l’empereur déchu, le bon Dr Carlos.
L’histoire de Carlos Ghosn, c’est une tragédie grecque revisitée par Shakespeare. La saga d’un petit Libanais émigré au Brésil, scolarisé chez les Jésuites, polytechnicien, engagé chez Michelin, sauveur de Renault, puis de Nissan au bord de la faillite où il gagne son surnom de cost-killer. PDG de Renault et de Nissan, boulimique du pouvoir, millionnaire, personnage flamboyant, il est frappé par la malédiction des dieux : l’ubris, la démesure. Son train de vie est impérial, comme son mépris des politiques. Pour célébrer ses secondes noces, il loue aux frais de l’entreprise le château de Versailles où il invite des milliers de personnalités. Son salaire est lui aussi impérial : 11 millions en 2012. Bon prince, il accepte une réduction de 30%, mais reçoit un bonus qui échappe au contrôle des actionnaires. Rien à cirer, depuis un an, Ghosn ne paie plus ses impôts en France, mais aux Pays-Bas. Au Japon, Ghosn est traité comme un prince. Respecté par ses concurrents, admiré du public, héros d’un manga, généreux donateur lors du tsunami de 2011. Dur en affaires, bon avec les petites mains, un héros japonais.
Il y a aussi du Richard III chez cet homme, le roi maudit de Shakespeare, qui fit étrangler ses rivaux et qui finit massacré par ses barons en réclamant : A horse, a horse, my kingdom for a horse ! L’ancien PDG de Renault, Louis Schweizer, qui l’adouba et le fit devenir Français, racontait : Ghosn a été le médecin qui a sauvé Nissan. Mais quand le patient est guéri et que le médecin s’installe chez lui, les problèmes commencent. Les traîtres de Nissan auraient ourdi un complot contre leur shogun, avec la complicité des méchants procureurs japonais. Comme le disait Oscar Wilde : « La vérité est rarement pure et jamais simple ».
Pour la justice japonaise, le beau Carlos n’est qu’un escroc qui utilise l’argent de Renault-Nissan pour financer sa folie des grandeurs, mais surtout un manipulateur qui oublie de déclarer 30 millions de revenus, qui sous-estime son salaire de 25 millions et qui fait payer par Nissan 14 millions de pertes boursières. C’est l’autre face du président déchu, Mr Ghosn. Comment les juges japonais ont-ils appris toutes ses turpitudes ? Par les déclarations du vice-président de Nissan, ancien bras droit de Ghosn. La vengeance est aussi un plat froid au Japon ! Shakespeare, on vous dit !
Les juges déploient les grands moyens. Carlos Ghosn est cueilli à sa descente d’avion, menotté et incarcéré comme un yakusa, un mafieux japonais. Les prisons japonaises ne sont pas connues pour leur humanité : une cellule spartiate, pas de communication avec ses proches, interrogatoires jour et nuit et surtout pressions pour obtenir des aveux. Tous les hommes d’affaires suspectés de délits financiers sont cuisinés à la sauce japonaise et beaucoup craquent et avouent leurs forfaits. Ghosn n’est pas du genre à se laisser faire et il en a les moyens. Il a recruté les meilleurs avocats japonais, qui ont réussi à le faire sortir de prison pour une résidence surveillée. Mais les procureurs ne lâchent rien : ils ont programmé un premier procès l’an prochain, un second un an plus tard. Bref, Ghosn a compris qu’il pourrait passer des années en prison. Alors, avec l’aide de sa chère épouse, il aurait organisé une fuite au Liban, pas pour fuir la justice, mais « pour se libérer de l’injustice et de la persécution politique et pour pouvoir enfin communiquer librement avec les médias ». Les héros vaincus ne meurent jamais, vaincus, ils ramassent leur épée et repartent au combat. Eschyle, on vous disait !
Marc Schindler