Lettre de Lima – A la veille des élections, le crédit de la classe politique est dans le rouge


Le Pérou renouvellera son congrès le 26 janvier prochain. Depuis que j’observe la vie politique en Amérique latine – et cela en fait, du temps! – je n’ai jamais vécu pareil climat d’élections! 

Retour dans un passé vieux de moins de 4 mois! Le 30 septembre 2019, le président péruvien Martín Vizcarra (photo capture d’écran Andina du 1er octobre 2019) décrétait la dissolution du Congrès, invitant les citoyens à en élire un nouveau d’ici la fin de la législature actuelle, en avril 2021.

Par sa décision, le président Vizcarra entendait notamment mettre un terme au blocage systématique exercé par des députés issus des rangs du fujimorisme, aidés en cela par quelques féroces rescapés du parti Apra de feu Alan Garcia. Son but était de combattre la corruption et d’autres inacceptables anomalies, lesquelles constituent autant d’insultes et de mépris à l’encontre des citoyens de ce pays. Il faut voir que la dissolution „constitutionnelle“ entraîne de facto la levée de l’immunité parlementaire des députés… Et la perspective, pour beaucoup d’entre eux, de poursuivre leur carrière en… prison.

Si le président Vizcarra a fait de la lutte contre la corruption une de ses priorités, c’est que le mal est profond, ressenti ici comme un fléau national. Un fléau du reste dénoncé l’autre soir par Nicolas Lucar, dans son émission „Hablamos claro“, sur TV Existosa, en des termes peu coutumiers… Je cite, en substance: „La politique, au Pérou, est la meilleure manière d’accéder très vite à la richesse… Il faut le dire, la corruption est dans les gènes de ce pays, elle fait partie de l’ADN du Pérou“.

Pas tendre, le bonhomme, dans son commentaire que partage pourtant pratiquement dans son ensemble la population, y compris, ironie, nombre de candidats au Congrès dont certains sont pourtant impliqués dans des affaires de pots-de-vin. Personne n’est dupe. Et surtout pas l’électorat, fatigué, désabusé, laminé voire fataliste. Absent! Un peu comme si le Péruvien n’y croyait plus, à force d’être trompé.

A moins de 3 semaines du scrutin, l’apathie domine. Ces élections sont en effet loin de mobiliser les foules, en l’absence de véritables débats, hormis quelques face-à-face insipides voire nauséabonds de candidats sur les chaînes de TV nationales. Selon les sondages, à peu de chose près, aucun candidat n’atteint plus de 10% d’intentions de vote.

Dans une interview accordée au quotidien « El Comercio » en début de semaine, l’analyste politique Juan de la Puente illustrait le désintérêt du public, stigmatisant la pauvreté des propositions des leaders politiques dans une campagne qui, affirmait-il, ne répond pas du tout aux exigences et aux nécessités du pays. « La société ne se sent absolument pas ou plus concernée… » assurait-il.

Hormis les thèmes récurrents liés à la délinquance, la corruption et la sécurité, les questions de société souffrent d’un vide abyssal. L’éducation et la santé sont les grands absents de cette campagne. Au même titre que l’écologie, même pas effleurée comme sujet. Le climat politique n’est pas à l’écologie au Pérou. Au point de rendre invisible et inexistante la couleur verte. Aucun candidat ne s’en réclame d’ailleurs.

Orphelins de leur leader Keiko Fujimori, dans l’attente de retourner en prison, les fujimoristes ne récolteront au mieux que des miettes, qu’ils partageront avec leurs amis de la défunte Apra. Nombre de représentants de ces partis ont quitté le navire. En changeant d’étiquette, certes, mais pas de discours, plus extrémiste et plus radical. Quant aux différentes sensibilités de gauche, chacune au combat avec leur propre vérité, elle sont plus divisées que jamais. Pour le plus grand bonheur du centre et de la droite, qui tireront sans doute les marrons du feu.

Les citoyens se déplaceront certes aux urnes, le vote étant obligatoire. Mais la classe politique a épuisé le peu de confiance qui lui restait. Son crédit est dans le rouge… Assise à côté de moi dans le bus, ce matin, une vieille dame observait la police coller une amende à un automobiliste en faute: « Encore de l’argent qui finira dans le porte-monnaie d’un homme politique»…

Pierre Rottet

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