Deux lanceurs d’alerte, deux destins marqués d’une victoire morale mais à quel prix!
En 1976, suite à l’explosion d’une usine appartenant au parfumeur Givaudan, un nuage de dioxine s’abat sur la bourgade de Seveso, dans le nord de l’Italie. Des milliers de personnes subiront les conséquences de l’accident, certaines seront défigurées à vie. Quelqu’un avait pourtant tiré la sonnette d’alarme, c’est le responsable technique du bâtiment, Jörg Sambeth.
Ce chimiste allemand connaît les dangers du trichlorophénol, une substance traitée à Seveso, à l’origine de la fabrication du défoliant « Agent Orange », utilisé pendant la guerre du Vietnam. L’usine a un besoin urgent de travaux, ses locaux sont vétustes, tout accident présenterait de graves risques pour la santé de la population des villages environnants. Sambeth avertit sa direction en Suisse, en vain. Le groupe Hoffman-La Roche qui contrôle Givaudan ne veut pas compromettre un juteux marché. La conscience professionnelle de Jörg Sambeth ne lui sera pas d’un grand secours lors du procès jugeant les responsabilités du désastre. Le chimiste est le seul cadre du groupe à se voir condamné à une peine de prison avec sursis. Roche n’émettra jamais de regrets. En 2004, retiré dans le sud de la France, Sambeth écrit un roman inspiré de son histoire, il raconte sa descente aux enfers. Dans un film tourné en 2006, la réalisatrice Sabine Gisiger lui rend justice, trop tard pour son épouse, morte d’un cancer l’année du procès.
La page mortuaire du journal « Le Temps » nous apprend en ce mois de janvier 2020 le décès de celui qui fut le bouc émissaire de la catastrophe de Seveso. Sur le faire-part, cet épigraphe, signé Jörg Sambeth: “Trop de loyauté, c’est trop facile, trop de candeur, c’est irresponsable”… Le hasard veut que le même jour, le même titre évoque la victoire en justice d’une autre lanceuse d’alerte, Yasmine Motarjemi. Dix ans de procédure judiciaire pour celle qui eut responsabilité de la sécurité alimentaire chez Nestlé et en dénonça les carences, avant d’être licenciée en 2010. La cour d’appel vaudoise a reconnu la multinationale coupable de mobbing « sournois ». Encore relativement peu médiatisé, ce jugement est historique, s’agissant du combat de David contre Goliath. Yasmine Motarjemi a payé de sa santé, sa carrière a été ruinée et sa vie privée a pâti de l’affaire. Elle ne doit cette issue heureuse qu’à son courage et sa ténacité. Grâce à elle, la justice prend une dimension humaine. Enfin.
Chapeau à ces deux héros des temps modernes!
Christian Campiche