Tribune libre – L’Inde, la Chine et le coronavirus


On s’inquiète au sujet de l’expansion du coronavirus de Wuhan en Inde. On craint que l’épidémie, devenant catastrophique, puisse générer des images effrayantes susceptibles de troubler les investisseurs. On avance que, par là, une panique boursière – partiellement due à des algorithmes bloqués sur « sell » – pourrait déboucher sur une crise économique mondiale. 

J’avoue ne pas être particulièrement pessimiste. Certes, en comparaison de la Chine, l’Inde donne une impression de laisser-aller, de tolérance coupable, de laxisme. À l’inverse, le gouvernement chinois aime faire démonstration de rigueur, de raideur, d’autoritarisme, de verticalité. Il se plaît à présenter des militaires et des policiers strictement alignés, froids, obéissants, inquiétants. Rien ne semble plus apprécié à Pékin que le lancement d’un nouveau port-avion (à l’essai…), ou la mise sur orbite d’un nouveau satellite. La modestie n’est pas le fort des dirigeants chinois. New Delhi semble humble, en comparaison. 

C’est que l’Inde n’a pas l’obsession de l’apparence qui caractérise la Chine, et, à vrai dire, toute l’Asie extrême. 

L’Inde, multiple, et réceptacle « de tous les débris d’antiques civilisations », n’a pas cette discipline de surface, d’apparence, que l’État chinois a hérité du parti communiste. L’Inde est un mélange de sa tolérance traditionnelle (et conditionnelle…), qui fait son fond culturel, avec le libéralisme économique et politique hérité des Britanniques. Mais son État n’est pas né de la dernière pluie. Les règles et les pratiques du pouvoir sont aussi anciennes que la riche histoire du pays. Le gouvernement de la République indienne a hérité des pouvoirs musulmans et britannique une tradition autoritaire, une armée solide, une police très respectée, un arsenal de lois sécuritaires. Le Premier ministre peut déclarer l’état d’urgence et contrôler le pays avec l’aide de millions de militaires, para-militaires, policiers et volontaires. Indira Ghandi l’a fait, Le Premier Modi peut le faire aussi. Les évolutions récentes de l’affaire du Cachemire, éternelle épine dans les relations indo-pakistanaises, le montrent bien.

La République indienne gère, en permanence, et avec beaucoup de flegme, un état de guerre froide vieux de 70 ans avec le Pakistan, des troubles ethniques endémiques, l’action de guérillas (nationalistes, communistes, confessionnelles, ethnicistes) sur divers points de son territoire, des émeutes interconfessionnelles fréquentes, un exode rural impressionnant, une rivalité de plus en plus aigüe avec la Chine de Pékin, des incidents frontaliers dans l’Himalaya, une rivalité nucléaires avec ses voisins, …et des menaces épidémiologiques permanentes ( choléra, dysenterie, hépatites, paludisme, SIDA, …). Le tout avec passablement de succès. 

Quant au service de santé, il est souvent performant. Si le touriste ou l’homme d’affaire occidental voit encore des miséreux arpenter les trottoirs des grandes villes, il sait aussi que si, pour son malheur, il devait tomber malade, des hôpitaux confortables, et performants, à la pointe de la technique médicale, sont là pour l’accueillir. À ses frais, évidemment, tant le secteur privé, dans ce pays, est plus performant que le secteur public. Depuis 2008, alors que la zone euro stagne, le PIB indien a augmenté de 96%.

Ne pas étendre, donc, à l’ensemble de la société le piètre état de la voirie… Babur, le vainqueur de la bataille de Panipat, près de Delhi, et le fondateur de la dynastie moghole, au XVIe siècle, s’en plaignait déjà.

Ceci dit, pour ce qui est des marchés boursiers, ils peuvent bien s’effrayer d’autres choses… et ils n’y manqueront probablement pas.

Bernard Antoine Rouffaer


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