PAR EMILIE SALAMIN-AMAR
Demain, je vais enfin aller vivre à la campagne, mon rêve d’ermite va se concrétiser. J’ai trouvé une vieille grange à rénover, perdue au beau milieu des champs, loin de la ville et de sa pollution. Je vais me mettre au vert, comme on dit, me faire une vie en bio.
Avant de partir, j’ai vendu tout le superflu, tout liquidé, bradé. En fait, je n’ai gardé que l’essentiel, le minimum, car à quoi bon encombrer mon intérieur de choses inutiles et surtout décoratives alors que la nature m’offre le plus beau des décors. A moi les petits oiseaux, les fleurs des champs, les sous-bois pleins de vie, de baies et herbes sauvages, de champignons, rien que d’y penser, j’en bave. Mon impatience est telle que je ne tiens plus en place. Dans ma voiture, j’ai entassé mes affaires personnelles et tout un fabuleux matériel de camping que j’ai hérité de mon oncle qui était babacool dans les années soixante. Car en attendant que j’aménage mon petit nid douillet, je dormirai sur son vieux matelas pneumatique emmitouflé dans son sac de couchage, usé à la trame, mais garni de vraies plumes d’oie du Périgord. Les hivers sont longs et froids dans la région, m’a dit mon futur voisin.
Oscar habite dans une ferme, tout seul, c’est un célibataire endurci et un soir, il m’a confié que le bétail, ça n’allait pas avec les femmes. Ces espèces sont trop différentes, avec les unes faut les dominer, faire preuve d’autorité et avec les autres faut filer doux, se mettre en veilleuse et à leur service, alors j’ai fait mon choix. Je suis resté seul et je suis le roi! Le roi des quoi, je ne vous le fais pas dire, car au lieu de caresser les bêtes, j’aurai préféré de loin câliner des minettes. J’ai pas trop de regrets, yaka pas se torturer à présent, c’est fait!
Le jour de mon arrivée, je suis allé dire bonjour à mon voisin, histoire de lui signaler ma présence dans la région et boire le coup de l’amitié avec lui. J’en ai profité pour m’informer quant à savoir s’il y avait une épicerie dans le coin.
-Les premiers commerces sont à une cinquantaine de kilomètres d’ici. Yaka pas tomber en panne de provisions et apprendre à faire des réserves!
-Et, la station-service la plus proche?
-A côté des magasins, c’est logique. Faut acheter un jerrican et yaka pas avoir le réservoir à sec! Les gens de la ville ne sont pas prévoyants, nous, à la campagne, on anticipe sur nos besoins, on prend de l’avance. On n’est pas plus futés que vous, mais on sait s’organiser.
-Et, pour le médecin? J’espère qu’il y en a un dans les parages. Pouvez-vous me donner ses coordonnées?
-Pour les petits bobos, vous irez chez Michou, comme tout le monde et pour le reste, c’est direction l’hôpital à cent bornes d’ici. Yaka pas tomber malade!
-Et le Michou, il est généraliste?
-En quelque sorte, c’est le vétérinaire, mais il a fait médecine, alors un chien, une vache ou un homme, pour lui, c’est du pareil au même, c’est du vivant!
-Vous vous faites soigner par un véto?
-Si ça vous débecte, yaka pas être mal fichu! C’est ça la vie à la campagne…
Extrait du «Le jardin du temps», publié en 2012 aux Editions Planète Lilou.
Photo: Do