Paris sans touristes, ou la mort d’un monde…


PAR YANN LE HOUELLEUR

Quand je dessine dans les rues de la capitale, je recueille des réactions, des témoignages, des observations qui témoignent un désarroi face à l’absurdité du monde qui s’est bâti au fil des décades écoulées et qui a commencé à s’écrouler. Non, rien ne sera plus comme avant : c’est déjà une certitude…

Alors que Notre Dame était dévorée par les flammes, que le ciel tout autour se voilait de gris, je m’étais refusé à assister, sur place, à cet horrible spectacle. Et pourtant, j’étais à côté, place Saint André des Arts. A ce moment précis, un présage m’avait parcouru : le monde allait bientôt prendre feu, sur tous les continents. Quatorze mois après, de même, bien après le déconfinement, j’avais traîné la patte pour aller revoir Paris, la capitale où j’ai tant dessiné et noué tant de passionnantes rencontres dans un peu toutes les langues.

Car voir Paris « débarrassée » de ses touristes, c’est plus qu’une scène de tristesse. C’est la preuve que nous autres, Français, avons commis un délire en faisant du tourisme de masse une industrie de premier plan, alors que les usines participent au PIB à hauteur de 10 % seulement. La tragédie du Covid a démontré combien on peut accélérer la ruine d’un pays en misant sur le tourisme au détriment de tant d’autres activités. Voilà que la France se découvre d’autant plus ruinée qu’elle ne verra pas de sitôt redémarrer ce qui était devenu un filon économique de premier choix. La mondialisation, qui a entraîné l’exode de nos industries vers les pays en voie de développement, où l’on produit à très bas prix, pour favoriser le consumérisme à haute dose dans l’hémisphère Nord, c’était une hallucination, un manque de vision que seuls peuvent avoir des hyper-capitalistes, sous prétexte que cette nouvelle répartition des tâches enrichirait la planète tout entière.

Paris sans touristes, Paris où l’on ne parle plus anglais, plus espagnol, plus chinois à la terrasse des restaurant, c’est un spectacle des plus déplorables. On s’y retrouve entre Français, heureux d’avoir été déconfinés, mais ne mesurant pas encore les conséquence d’un tel « modèle » économique, bien évidemment suicidaire.

Malgré tout, il me fallait bien reprendre mes séances de dessin, notamment sur le Pont des Arts, depuis lequel on voit se déployer le splendide Pont Neuf. Et aux alentours de 21 heures, il y avait peu de monde, alors que les années précédentes une foule de touristes déferlait sur ces ponts, gens de tous les pays du monde ravis d’avoir fait une croisière le long de la Seine. Des bateaux, il en glissait encore quelques-uns, ce 25 juin 2020, mais ils étaient au neuf dixièmes vides. Un copain, Alain, qui passait par là et me reconnut, se lamentait en ces termes : « Il aura fallu deux mois d’une guerre aveugle pour détruire tout un pays ». Monsieur Macron, si peu prodigue en commisération, a beau nous dire … « les jours heureux sont revenus », c’est un immense malheur qui nous attend, surtout quand on apprend le soir même par les inévitables chaînes d’info en continu que Sanofi licencie 2.000 personnes en Europe. Traîtrise suprême, quand on se souvient que ce même Macron avait rencontré le président de ce groupe prétendument français quelques jours auparavant.

De même, comment voulez vous que les touristes reviennent en masse à Paris, alors que le Covid-19 continue à circuler allègrement à travers le monde et que la peur d’un second confinement commence à agiter certains esprits sans doute clairvoyants ? Paris est un rêve que de moins en moins d’étranger auront la capacité de s’offrir. Et Paris est devenu une ville hostile, invivable, par l’explosion même du coût de la vie, à tel point que des brasseries chic facturent même la fourniture de glaçons en complément d’une boisson fraîche. Et puis, comment ne pas évoquer la très mauvaise image que Paris se forge avec tant de manifestations et cortèges pendant lesquels des scènes « dignes » d’une guerre civile se multiplient ?

Aujourd’hui, un nombre croissant de Français, sur le pont des Arts comme ailleurs, commencent à évoquer ce traumatisme que fut le confinement, avec le rapt soudain des libertés individuelles, avec la tyrannie exercée par les médias, au premier plan desquels BMF-TV, qui se faisaient l’écho d’une sorte de mise au point d’une nouvelle technique de gouvernance… sous l’empire de la terreur. Beaucoup de Français se demandent qui sont les véritables coupables de cette situation atroce que nous avons vécue, et ils ne sont pas dupes : un pouvoir politique incapable d’exercer pleinement ses responsabilités. Mais le problème est que pour détourner l’attention du peuple sur leurs agissements troubles, nos dirigeants ont livré à la vindicte populaire des segments de la population. Notamment, les policiers, accusés de toutes les vilénies, livrés en pâture, lâchés par leur ministre. Mais aussi les scientifiques, au premier plan desquels le professeur Raoult, devenu pour beaucoup l’homme à abattre. Mais aussi, maintenant, émerge l’idée selon laquelle il faudrait couper les vivres à certaines universités qui formeraient des étudiants à des métiers sensés être inutiles parce que non inféodés à la civilisation du tout numérique sensée sauver le monde de la ruine… 

Toujours la même doxa, à laquelle adhère hélas une frange croissante des élus : le numérique, c’est le Sauveur incontestable. Dès lors, on se rend compte de la puissance de certains lobbies qui surfent sur des peurs viscérales pour muscler toujours davantage son influence.

Or, selon les commentaires, les réactions que je recueille, l’idée commence à prévaloir qu’une « certaine forme de civilisation » vient de mourir sous le couperet du Covid. Nous assistons, dans un bouillonnement aux apparences de désordre voire même de chaos, à la naissance d’un nouveau monde dont personne ne peut savoir quelle(s) forme(s) il revêtira. Et il faudra des décennies pour que ce monde fondé sur d’autres valeurs s’assimile à un « mouvement » tel que la Renaissance. En particulier, ils sont nombreux ceux pour lesquels l’une des lâchetés principales de notre civilisation occidentale est d’avoir expurgé la foi, la spiritualité pour implanter la fallacieuse religion du consumérisme. Et le débat qui s’ensuit ne peut être qu’interminable, tant il soulève des questions, des plus graves… 

Photo YLH: il y a peu de monde sur les ponts de Paris…

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