Chronique catalane – Le chef de la diplomatie de l’Union Européenne est-il crédible?


PAR FRANÇOIS GILABERT

Au Parlement Européen, le chef de la diplomatie de l’Union européenne, visiblement irrité et de mauvaise humeur, a dû répondre, mardi 9 février 2021, à une salve de critiques émanant du groupe du Parti Populaire Européen, de Renew Europe, des Verts-ALE, de la gauche unitaire européenne, ainsi que des ultras conservateurs. La semaine précédente, la presse européenne avait déjà présenté le voyage de M. Borell en Russie comme un véritable fiasco, une grave erreur diplomatique. De plus, 80 euro-députés avaient écrit à la présidente de la Commission Européenne Mme Ursula Von der Leyen afin de demander la démission de M. Borell, suite à l’humiliation subie lors de la conférence de presse avec son homologue russe Sergueï Lavrov.

Mais que lui reproche-t-on ? L’empoisonnement du politicien opposant russe Alexeï Navalny et son emprisonnement à peine arrivé en Russie a suscité une grande indignation en Europe, et davantage encore dans la plupart des pays de l’Est. M. Borell s’est alors lancé « comme un seul homme » plein de détermination et semble-t-il sans trop de préparation, sans s’enquérir non plus de l’accord unanime de ses partenaires de l’UE, dans l’opération hasardeuse d’une demande de rencontre avec M. Lavrov, ministre des affaires étrangères russe. Il s’est proposé de clamer haut et fort et de manière directe et courageuse, que ces atteintes aux droits de l’homme sont indignes d’un pays civilisé et mettent à mal les relations avec l’Union Européenne. Mais, ce qui était motivé par de louables intentions, s’est soudain transformé en débâcle. Il paraissait pourtant évident que son homologue russe n’allait pas le recevoir de gaieté de cœur, tout au moins serait-il sur la défensive en rapport avec les tensions suscitées dans les rues par les manifestants protestant contre l’emprisonnement de Navalny. A peine atterri sur le sol russe, Borell a bien cherché à rencontrer l’opposant russe, mais n’a obtenu qu’une rencontre avec les avocats de l’opposant. Au moment même où s’entretenaient les deux hauts responsables des affaires étrangères, décision avait été prise par la Russie d’expulser trois diplomates de la Communauté européenne, plus précisément un Allemand, un Suédois et un Polonais. Moscou leur reproche d’avoir participé à des manifestations contre la détention de Navalny.

Mais l’instant « sommet », le plus culminant de cette rencontre a été sans nul doute la conférence de presse, durant laquelle, après quelques mots de félicitation sur les accords commerciaux entre les deux parties sur les exportations de gaz russe, M. Borell a réclamé la mise en liberté de M. Navalny et la tenue d’une enquête indépendante et complète sur son empoisonnement. C’est alors que Lavrov lui a rétorqué que des leaders indépendantistes catalans sont en prison pour avoir organisé un référendum, sentences que la justice espagnole n’a pas révoquées malgré les décisions contraires prises par les tribunaux belge et allemand. Lavrov a souligné que l’Espagne a défendu son système judiciaire et a demandé à ses partenaires de ne pas douter de ses décisions, alors que la Russie n’a fait aucun commentaire politique. « Est-ce cela que souhaite l’Occident en termes de réciprocité ? » a-t-il ajouté.

Un malaise s’est installé en Europe depuis cette visite désastreuse de M. Borell en Russie. L’affront qu’il a subi, a été ressenti comme une humiliation par toute la communauté européenne. Des analystes évoquent un grave effet de fragilisation de sa diplomatie. En séance du Parlement européen, l’ancien président de la Généralité de Catalogne n’a pas manqué de profiter de l’aubaine. Exilé en Belgique, euro-député, M. Puigdemont s’en est donné à cœur joie contre M. Borell. Ce dernier a toujours condamné le référendum en Catalogne et avait soutenu, avant sa nomination à la Commission européenne, l’emprisonnement des leaders politiques. Il avait aussi nié la brutalité policière lors d’une interview à la BBC, au moment de la tenue du référendum d’indépendance, le 1er octobre 2017. M. Puigdemont a demandé purement et simplement un « Borellexit ». Plus graves sont les conséquences pour l’opposant russe car toute possibilité d’intenter des actions diplomatiques en vue de demander sa libération sont malheureusement rendues encore plus difficiles. Alors taxé par les journaux européens « d’enfant de cœur, apprenti, de naïf», M. Borell a-t-il perdu toute crédibilité ?

Il convient de rappeler, car la presse semble ne plus faire grand cas de la situation en Catalogne, que 9 prisonniers politiques sont en prison, condamnés à des peines de 9 è 13 ans pour avoir organisé un référendum. Et qu’il existe des exilés tels que l’ancien président de la Généralité de Catalogne, dont 2 ont été accueillis par la Suisse. En outre 2850 citoyens sont en attente de procès et 2 chanteurs ont été condamnés. L’un d’eux s’est exilé, l’autre, Pablo Hasel, entrera en prison cette semaine pour avoir tenu des propos contre les institutions espagnoles. Enfin le Président actuel, M. Torra, a été destitué pour avoir refusé de retirer la banderole en période électorale réclamant la libération des prisonniers politiques. On rappellera encore que le pays a été longtemps mis sous tutelle par l’Etat espagnol, après l’adoption d’une loi par les chambres, la No155, contestée pour son illégalité.

Amnesty International a condamné l’emprisonnement de deux leaders d’une association civile indépendantiste et a exigé leur libération immédiate, alors que le groupe de travail de l’ONU concernant les détentions arbitraires a demandé la libération des prisonniers politiques. La liste n’est pas exhaustive.

D’autre part, ce même mardi 9 février 2021 au Parlement belge, le député Sander Loones a interpellé le Premier ministre M. Van der Croo à propos de la décision prise par les tribunaux de refuser l’extradition du conseiller catalan exilé Lluis Puig. Pour les juges, il est clair que la justice espagnole ne présente pas les garanties nécessaires pour proposer aux indépendantistes catalans un procès équitable. La réponse a été claire: « notre pays croit en l’application forte de l’état de droit par tous les membres de l’UE, y compris la Pologne, la Hongrie et l’Espagne. Tous se doivent de respecter les valeurs européennes fondamentales ».

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