Je suis Hamza Ajan, je suis un réfugié


PAR CEVDET ACU*

Dans cet article, je veux parler de la mort de Hamza qui était un réfugié syrien vivant en Turquie depuis 2012. Hamza (photo DR) n’avait que 17 ans lorsqu’il a été tué, roué de coups, par quatre «hommes» le 15 juillet 2020. Je suis sûr que s’il vivait encore, il aimerait dire beaucoup de choses qui ont été ignorées par la plupart des médias en Turquie. Tel est le mépris des médias pour la vie des réfugiés, sa mort n’a pas été couverte par une grande partie d’entre eux en Turquie. Aujourd’hui, en tant qu’être humain, je choisis de me tenir aux côtés de ceux qui ont été forcés de quitter leur domicile, et j’écrirai au nom de Hamza. Nous devons soutenir les personnes qui sont victimes de discrimination dans la société en tant qu’êtres humains, et nous solidariser entre nous afin d’éviter que ce système injuste ne tue chacun de nous un jour. Pour ce faire, nous commencerons par expliquer comment Hamza s’est retrouvé en Turquie.

Oui, je suis Hamza Ajan et je viens de Syrie. Je n’avais que 8 ans lorsque les gens ont commencé à manifester pacifiquement contre le gouvernement tyrannique et corrompu de mon pays d’origine (Syrie) en 2011. Je vivais avec ma famille à Idlib, une ville du nord-ouest de la Syrie, non loin de l’antique Ebla.

Début 2011, j’ai pris conscience du fait que certaines personnes protestaient contre le gouvernement. Je le constatais en ouvrant la télé presque tous les jours. J’ai senti que quelque chose clochait à ce moment-là. Plus tard, j’ai compris que les gens protestaient car ils n’avaient pas une vie décente en tant qu’êtres humains. C’était le moment de dire que ça suffisait. Ils comptaient sur la liberté pour obtenir un meilleur bien-être et ils croyaient qu’il était possible de vivre dans une société où les gens avaient des chances égales. Ils ont supposé qu’il était tout à fait normal de protester s’il y avait d’énormes problèmes tels que la répartition inégale des revenus, la corruption et l’injustice. Les gens étaient déterminés à changer ce système injuste; ils ont commencé à descendre dans les rues, criant à haute voix, appelant et chantant pour la liberté et le changement. C’était en 2011. Il s’agissait de manifestations pacifiques alors que certaines personnes protestaient avec des fleurs et offraient des bouteilles d’eau aux soldats à Damas, capitale de la Syrie, l’une des plus anciennes villes du monde habitées en permanence.

Le gouvernement n’a pas toléré des manifestations pacifiques appelant à la liberté et à la dignité. Les barrages routiers étaient chose courante, le gouvernement autoritaire tentait de prendre le contrôle de tout un peuple. Chaque jour, le nombre de morts augmentait alors que de plus en plus de gens descendaient dans la rue pour protester contre cette brutalité. Le conflit s’est étendu à presque toutes les régions de mon pays d’origine, polarisant la nation. Les villes et même les familles étaient catégorisées selon leur point de vue politique. Cette manifestation a dégénéré en violence, une violence qui a détruit à la fois ma ville natale et mon rêve. Les forces gouvernementales tuaient des civils; ils détruisaient les maisons civiles avec des chars de l’armée et des hélicoptères. Chaque jour, de nombreuses maisons ont été détruites par les bombardements; cette violence est arrivée aussi dans ma ville natale, Idlib. La rue où je jouais avec mes amis s’est transformée en un champ de bataille sanglant. Ma maison brûlait. Il n’y avait plus aucun signe de vie, la plupart des gens et tous mes amis ont quitté leur maison juste pour survivre. Chaque fois que je me couchais, je me demandais si je me réveillerais le lendemain matin ou pas. La mort n’était jamais loin.

Ma famille et moi avons quitté notre maison pour déménager dans un nouvel endroit, un endroit où nous pourrions vivre une vie normale. Nous sommes allés chez notre voisin le plus proche: la Turquie. Mais nous n’étions pas les seuls: de nombreuses personnes tentaient de faire le même voyage difficile vers ce que nous pensions être la sécurité. Après un long moment, nous avons passé la frontière et sommes arrivés en Turquie. Je pensais que tout le monde nous y souhaiterait la bienvenue. J’ai supposé que tout le monde ressentirait de la sympathie pour nous car nous étions forcés de quitter notre maison. Même au début de mon séjour en Turquie, je pensais que tout le monde prendrait soin de nous. Presque tous les jours à la télé, on montrait des politiciens vêtus de noir, je croyais qu’ils parlaient de nous de manière positive, ne sachant pas encore un mot de turc. J’étais convaincu que toutes ces personnes et les médias disaient la vérité sur nous.

Après un certain temps, j’ai commencé à parler le turc, j’ai réalisé que quelque chose n’allait pas dans la société. J’ai compris que la plupart des gens nous humiliaient simplement parce que nous étions des Syriens, les hommes en costume noir nous montraient en fait pour suggérer que le gouvernement syrien abusait de la générosité turque. Plus tard, j’ai compris que ces gens étaient des députés, ils chargeaient les Syriens en leur imputant les causes des difficultés économiques de la Turquie. La plupart des entreprises de médias de masse attisaient la tension entre nous et la population locale. J’ai été stupéfait d’apprendre que nous étions blâmés pour toutes les mauvaises choses en Turquie. Certaines personnes disaient même que nous n’étions pas trop mal en Syrie. Nous n’avions pas suffisamment de poids juridique pour nous protéger contre cette injustice. J’ai été choqué pour la deuxième fois de ma courte vie.

Je ne savais pas quoi faire ni où aller après le deuxième choc. Il me semblait que je n’avais aucun endroit où vivre en liberté avec dignité en tant qu’être humain. Quoi qu’il en soit, j’ai trouvé un emploi dans le marché public en plein air dans le quartier de Gürsü à Bursa où je vivais avec mes parents. Je voulais avoir un meilleur travail mais poursuivre mon rêve n’était plus une option pour moi. Je voulais juste me concentrer sur ma nouvelle vie et j’ai essayé d’ignorer les personnes qui discriminaient ma famille. Cependant, je n’ai pas pu tolérer les gens qui harcelaient une femme. Le 15 juillet 2020, quand j’ai vu que des personnes racistes travaillant sur le marché harcelaient et insultaient une femme, j’ai perdu mon calme. Cette dame était une réfugiée syrienne comme moi, mais je n’ai pas fait attention à sa nationalité. Je l’aurais défendue même si elle n’avait pas été syrienne. Quatre personnes racistes l’ont insultée et je leur ai dit que ce n’était pas acceptable. Alors, elles se sont retournées contre moi. Ces quatre personnes ont commencé à me donner des coups violents au lieu de m’écouter. J’ai juste essayé plusieurs fois de leur dire; vous ne pouvez pas traiter un être humain de cette manière. Cependant ils n’ont pas écouté et ils ont continué à me battre jusqu’à ce que je perde connaissance. Les gens autour de moi ont appelé l’ambulance, on m’a emmené à l’hôpital. J’avais subi une hémorragie cérébrale en raison de la gravité des coups reçus. J’étais très jeune et je n’avais plus assez de motivation pour me battre, cette fois. C’était trop tard pour tout. J’avais déjà perdu espoir pendant que j’étais en Syrie, mais cette fois j’ai perdu la vie.

Oui, cela pourrait être différent si les gens s’écoutaient simplement au lieu de se battre. Oui, cela aurait été différent en Syrie si le gouvernement syrien avait essayer d’écouter les manifestants au début. Oui, cela aurait pu être différent si ces quatre personnes m’avaient écouté. Qui sait? J’aurais pu encore vivre parmi vous, même si vous ne me traitiez pas comme un être humain.

Essayez simplement de vous écouter les uns les autres au lieu de vous battre. Cette haine et cette ignorance finiront par tout tuer un jour. Je veux terminer ma pièce avec un poème qui a été écrit par une personne qui a dû par la force quitter sa maison comme moi. Il était l’un des plus grands poètes Syriens, Nizar Qabbani.

Pourquoi?

Je me remets toujours en question

Pourquoi n’y a-t-il pas d’amour dans le monde pour tout le monde, tout le monde

Comme les rayons du soleil à l’aube?

Pourquoi l’amour n’est-il pas comme le pain et le vin

Et comme l’eau dans la rivière?

Pourquoi les gens n’aiment pas de manière simple

Comme le poisson dans la mer, comme les lunes qui tournent dans la galaxie?

Pourquoi l’amour n’est-il pas essentiel dans mon pays natal

Comme un livre de poésie?

Pourquoi?

*L’auteur est chercheur en macroéconomie à l’Université d’Exeter au Royaume-Uni.

Note de l’auteur: Cher Hamza, j’espère qu’il y a un endroit comme celui que l’on m’a toujours décrit, j’espère que vous y êtes maintenant. Puisse votre âme reposer au ciel auprès d’Allah. Nous n’avons pas pu vous protéger; ni vous procurer un espace où vivre en paix en Turquie. Je souhaite également la santé de la famille de Hamza. Puisse Allah vous embrasser avec amour pendant cette période difficile. Hamza ne sera pas oublié, jamais.

Je voudrais aussi exprimer ma gratitude à ma charmante amie, Maeva Camara, pour le temps qu’elle a consacré à traduire ce document en français. AC

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