“Le jour de mes 5 ans, en août 1948, je quittai avec mon frère cadet la Hongrie pour la Suisse, j’ignorais que je nous ne reverrions plus nos parents…”


« Une cassure a marqué le jour de mon cinquième anniversaire, le 16 août 1948. Ce jour-là, mon frère cadet Miklós et moi-même avons dû quitter la Hongrie, le pays où nous étions nés. Nos parents nous ont envoyés en Suisse car la situation en Hongrie devenait intenable pour les personnes de notre famille. Personne ne se doutait à ce moment-là que cette séparation serait définitive et que nous ne reverrions plus jamais notre père et notre mère ».

Ainsi commence le recueil de souvenirs « Mosaik eines ungeplanten Lebens » (Mosaïque d’une vie non programmée) que l’auteur, Géza Teleki , destine à ses proches. Une image belle et poignante illustre le passage sus-mentionné. Elle est prise dans le compartiment du train qui va emmener les deux enfants à Bâle, via Vienne. L’aîné est inconsolable, le plus jeune fait le pitre. « Il se réjouissait de manger du bon chocolat suisse »… Une femme souriante, volontaire de la Croix-Rouge Suisse, les tient serrés contre elle. Elle tente de les rassurer. Sur le quai, les parents des garçons, Éva et László Teleki. Ce dernier craint pour sa vie. Le blason Teleki est illustre, l’histoire de la Hongrie vibre encore des exploits de ses ancêtres. Mais le pays figure parmi les perdants de la guerre, l’Union soviétique y a placé ses pions. En 1948, les communistes s’emparent du pouvoir, les déportations vont commencer. Elles visent d’abord les familles de l’  « ancien régime ». Éva et László Teleki ne savent pas s’ils survivront à cette épreuve. De fait László sera emprisonné et condamné aux travaux forcés. Éva contractera la tuberculose.

Depuis la fin de la guerre, nul ne sort de Hongrie de son plein gré. Le couple Teleki a quand même réussi à « glisser » sa descendance hors du pays. László sera libéré en 1956 mais l’échec de la révolution hongroise annihile tout espoir de sortir. En 1962, se planifie en grand secret une rencontre entre les membres de la cellule si dramatiquement éclatée. Géza et Miklós doivent retrouver leurs parents à Varsovie. De mèche, leurs protecteurs lémaniques, Alice et Albert Cuénod-d’Espine, organisent le voyage. Sur place, le petit groupe attendra en vain l’arrivée du train dans lequel ont pris place Éva et László Teleki. Le convoi déraille. Des dizaines de passagers périssent dans la catastrophe. Éva meurt sur le coup. Grièvement blessé, László décède quelques heures plus tard.

C’est une histoire extraordinaire, la sienne et celle de ses ancêtres, que raconte Géza Teleki dans ce livre illustré de maintes images prélevées dans l’album familial. L’auteur n’est pas ingrat, il rend hommage à ses parents d’adoption «Mummy » et « Daddy » Cuénod-d’Espine et aux autres Suisses qui les ont hébergés, voire élevés, pendant les années à la fois douloureuses et enrichissantes d’une enfance trimbalée entre Bâle et le canton de Vaud, passée à espérer le retour à une vie normale. Parmi toutes ces personnes offertes par dame providence, les Gilliéron, les Berruex. Mais aussi Samuel et Marie Henchoz-Cottier, piliers damounais à jamais gravés dans la mémoire des deux Hongrois devenus des citoyens suisses, rompus à tous les exercices de la vie politique et sociale, intégrés dans le « Daig » bâlois tout en restant fidèles au Pays-d’Enhaut, ce Château-d’Oex mythique où Géza Teleki vient se ressourcer dès que ses nombreuses activités et engagements au service du Souvenir, avec un grand S, lui en laissent le loisir.

Christian Campiche

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Un commentaire à ““Le jour de mes 5 ans, en août 1948, je quittai avec mon frère cadet la Hongrie pour la Suisse, j’ignorais que je nous ne reverrions plus nos parents…””

  1. Martin de Waziers 22 septembre 2021 at 05:05 #

    Emouvantes, ces vies incroyables dans ce monde bousculé par maintes crises. L’important est de conserver le souvenir des épreuves car elles nous renforcent et cela s’appelle résilience. Merci pour ce partage !

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