La Chine piégée par le capitalisme


PAR MICHEL SANTI

La Chine a fonctionné jusque-là en construisant 15 millions de logements par an, soit 5 fois plus que les Etats-Unis et que l’Europe réunis. A la faveur de la déconfiture à 300 milliards de dollars d’Evergrande, principale entreprise immobilière du pays, la problématique – pourtant pas récente – des villes fantômes chinoises est revenue sur le devant de la scène. En réalité, ce terme est inapproprié dans le cas de la Chine car ces villes n’y sont pas tant fantomatiques que tout simplement vides, inoccupées. Ces immenses bâtiments et complexes, qui furent construits ou par la suite revendus comme investissements, n’ont en effet toujours pas trouvé d’acquéreurs ou de locataires, contrairement aux villes fantômes stricto sensu qui ont la spécificité d’avoir été habitées avant d’être désertées.
 

Voilà pourquoi environ 65 millions des logements chinois sont vides, soit 20% du parc national estimé en 2019 à 52 trillions de dollars qui – rappelons-le – est deux fois plus important que celui des Etats-Unis. Ces villes vides sont hélas la conséquence du piège dans lequel est tombée la Chine car il reflète ce capitalisme à l’occidentale (que j’ai dénoncé de multiples fois) où l’immobilier est un des facteurs principaux – et même le plus important dans certains pays – de la croissance économique. Dans un contexte où les prix de la pierre furent multipliés en 20 ans par 10, voire plus dans certaines villes, les chinois se persuadèrent qu’il s’agissait là d’un placement sans risque autorisant à la fois de préserver et de faire prospérer la richesse.
 

Le facteur aggravant en Chine est que l’Etat y a surestimé son taux d’urbanisation, c’est-à-dire la quantité de personnes délaissant leurs villages qui a il est vrai considérablement augmenté avec le temps puisque 61% des chinois vivent désormais dans des villes contre 35% il y a 20 ans. Dans un contexte où les pouvoirs publics ont énergiquement fait la promotion du développement et de la construction immobiliers, ils se sont néanmoins heurtés à la tendance lourde du vieillissement de leur population qui croît actuellement au rythme le plus lent depuis 1970. Le résultat consiste donc aujourd’hui en un parc immobilier bien trop ambitieux qui contraste cruellement avec un déclin de la population que les promoteurs n’ont pas su anticiper, avec un facteur aggravant qui est que 90% des familles chinoises sont déjà propriétaires de leur domicile contre 65% aux Etats-Unis. La Chine a donc proprement laissé déraper cet engouement ayant saisi absolument tous les niveaux de sa société puisque la propriété immobilière représente 70% de la richesse des ménages et carrément 30% du P.I.B. national.
 

Dans un souci d’enrayer la chute des prix voire d’éviter un krach, les autorités réagissent en compliquant les processus de ventes immobilières afin de dissuader les propriétaires de se débarrasser de leur bien. De fait, il est tout à fait possible de limiter la casse en agissant sur le nombre d’années à remplir préalablement à la revente de sa propriété ou en refusant la transaction si le prix est jugé trop bas… Comme toujours dans le cadre de ces mesures de répression financière, le but ne sera atteint – à savoir une baisse des prix graduelle et contrôlée – qu’au prix d’un nombre de transactions qui serait en chute libre et à son tour susceptible d’engendrer la panique. Les apparences d’une liquéfaction immobilière seront donc évitées mais la population en sera toutefois largement appauvrie, car aucune liquidité ne pourra plus être dégagée pour l’éducation, pour la santé, pour la retraite.
 

La Chine semble donc désormais à son tour devoir gérer les maladies du capitalisme.

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