Alors que la gauche française est en perte de vitesse, le PS risque carrément de disparaître


PAR YANN LE HOUELLEUR ET ANDRÉ DELAPORTE, Paris

Pour en retrouver la trace sur l’échiquier politique français, il faut désormais se munir d’une loupe : le Parti socialiste ne pèse guère plus de 4,5 % des voix. Ce pourcentage émane d’un récent sondage Ipsos. Présentement, c’est Anne Hildalgo, surnommé « la Reine Maire » de Paris, qui défend les couleurs devenues si pâles du parti symbolisé par la rose. Un sondage des plus piquants met en exergue le reflux de la gauche tout entière. Si l’on prend en compte deux partis radicaux plutôt lilliputiens (le Nouveau parti anticapitaliste et Lutte ouvrière), la gauche représente 18,5% des intentions de vote. Faut-il inclure dans ce calcul les écolos (Europe écologie-les-verts) alliés aux socialistes, aux communistes et/ou à la France Insoumise dans plusieurs municipalités et collectivités locales ? Dès lors, la gauche correspondrait à 27 % des intentions de vote.

La « grande surprise » de la campagne électorale en vue de la présidentielle : la dégringolade de la gauche, plus précisément la descente aux enfers de ce qui en était la clef de voûte, le Parti socialiste. Pour certains, aucun doute : le PS s’apparente à un champ de ruines, dix ans après la victoire de François Hollande dont le manque de crédibilité et le bilan médiocre ont contribué à couler ce navire qui avait gouverné la France en alternance avec la droite dite « républicaine ». L’investiture d’Anne Hidalgo n’a rien arrangé : maire de Paris réélue en 2020, elle s’avère être une personnalité des plus décriées en France, d’autant plus que la capitale, endettée jusqu’au cou, est tout à la fois enlaidie par de nombreux chantiers et submergée par la saleté. Anne Hidalgo, c’est l’incarnation de la vague « bobo » (« bourgeois bohème », selon le Larousse) et de la gentrification. En quête de phrases impactantes pour redorer son blason, elle a déclenché les foudres des médias et de toute une partie de la classe politique lors d’un meeting à Perpignan (ville conquise par le Rassemblement National en 2020). Elle a comparé la situation des musulmans en France à celle des Juifs lors des années si sombres de l’Occupation.

Si le PS et plus « largement » la gauche ont perdu du terrain, c’est parce qu’ils ont donné la primeur aux questions sociétales, qu’ils apparaissent « contaminés » par la « cancel-culture », ne séduisant plus leur électorat habituel. Ce que les politologues appellent « le vote ouvrier » a tourné le dos à une gauche devenue élitiste et « néo bourgeoise » pour migrer vers des partis situés le plus à droite de l’échiquier politique. Une certaine intelligentsia abuse de ce qualificatif, l’ « extrême » droite. Assurément, un terme inapproprié car le Rassemblement national tout comme Reconquête, le nouveau parti fondé par le journaliste et essayiste Eric Zemmour, ne sont en aucune manière des ligues aspirant à balayer le Parlement. Voici l’effroi le plus récent éprouvé par les dirigeants du parti socialiste : nombre d’anciens électeurs du PS seraient prêts à mettre un bulletin dans l’urne en faveur de Marine Le Pen !

Parmi les sujets qui exacerbent le clivage entre droite et gauche : l’immigration, devenue l’une des préoccupations majeures, tout comme l’insécurité, de l’électorat. Le RN et Reconquête considèrent que l’immigration débridée à laquelle fait face la France alimente carrément la recrudescence de la délinquance à l’heure où des statistiques sèment la panique : par exemple, 120 coups de couteaux enregistrés chaque jour ; une vingtaine de policiers agressés et blessés au quotidien (chiffres fournis par le ministère le l’Intérieur).

Pour la gauche, l’immigration et les questions afférentes relèvent du tabou alors que les citoyens y sont de plus en plus sensibles. De nombreux spécialistes estiment que la gauche – tout comme une partie de la droite – considère les immigrés et les musulmans comme un réservoir d’électeurs. Ces élus et candidats sont prêts à les manipuler si nécessaire pour faire croire qu’ils seront les principaux bénéficiaires de leurs projets de loi.

L’une des causes les moins « visibles » de la perte de crédibilité croissante d’une formation telle que le PS est… la paresse et la propension à l’improvisation de ses dirigeants, ainsi que l’a relevé Julien Dray. Connu sous le sobriquet de « Baron Noir du PS », ce trotskyste repenti a été le fondateur de SOS Racisme et l’un des architectes du triomphe électoral de François Mitterrand en 1981. Il a confié à un journaliste de la chaine d’infos en continu « CNews » son désarroi : « J’envisage de quitter le bureau national du PS. Mes camarades ont négligé de préparer un programme électoral sérieux qui prenne en compte les préoccupations essentielles des Français ».

Manuel Valls, premier ministre de François Hollande du 31 mars 2014 au 6 décembre 2016, a renchéri, le dimanche 19 décembre sur la même antenne: « La question, c’est de savoir autour de quel projet, de quel programme nous devons nous réunir. » Manuel Valls se montre opposé à l’idée d’une « primaire dite populaire ». Il fustige ceux qui à gauche réclament « la sortie du nucléaire d’ici 2050, l’abrogation des lois sécurité globale et séparatiste. Evoquant ces lois promulguées un an auparavant, il estime : « Vouloir les suspendre, cela revient à démunir la France face au risque terroriste ».

Photos ©2021 Yann Le Houelleur

Selon Manuel Valls, « la gauche est hors jeu. » Il fait partie du « club des sceptiques » qui toutefois se réjouissent du paradoxe suivant : maints thèmes si mal débattus au sein de la gauche sont en réalité plus que jamais d’actualité, au même titre que l’immigration et l’insécurité : les inégalités sociales toujours plus criantes, la redistribution biaisée des richesses, l’affaiblissement des services publics, la critique de la mondialisation financière. L’ex Premier ministre ajoute : « Les ménages français ne sont pas à l’abri de l’appauvrissement, consacrant de plus en plus d’argent aux loyers et aux dépenses d’énergie. Et puis, un jeune actif sur deux occupe un poste d’intérimaire ou à durée indéterminée. »

Coup de théâtre le plus récent, au sein de cette gauche française déchirée par les rancœurs et les rivalités : Christiane Taubira, qui fut ministre de la Justice de Hollande, s’est proposée de fédérer la gauche et peut-être même de prendre la relève de Mme Hildalgo en si mauvaise posture. Née en Guyane, réputée pour ses dons d’orateurs et d’écrivain, elle est restée assez populaire dans certaines sphères de la gauche, mais elle est exécrée par ceux, plus conservateurs, qui se souviennent de son rôle déterminant dans la promulgation de la loi sur le mariage gay. Des millions de Français avaient manifesté dans les rues contre cette loi et l’on avait même assisté à une certaine répression policière. « Mme Taubira a fracturé la société française », constate Ludivine de La Rochère, présidente de la Manif pour Tous.

Enfin, il convient d’observer qu’Emmanuel Macron s’est distingué comme l’un des principaux fossoyeurs du Parti socialiste, s’étant présenté en 2017 alors que François Hollande, dont il avait été le ministre de l’Economie, avait dû renoncer à briguer un second mandat tant il était impopulaire. M. Macron, aussi fin stratège que caméléon, a réussi à attirer dans son camp certains ténors du PS… tous comme certains hauts dignitaires des Républicains, un parti qui pourrait bien l’emporter en avril prochain après l’investiture de Valérie Pécresse, ministre de Nicolas Sarkozy et actuellement présidente de la Région Ile-de-France.

Yann Le Houelleur, artiste et auteur, se consacre au journal numérique Franc-Parler en compagnie d’André Delaporte.

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Un commentaire à “Alors que la gauche française est en perte de vitesse, le PS risque carrément de disparaître”

  1. Pierre Rottet 22 décembre 2021 at 12:32 #

    J’abonde dans le sens de votre analyse. J’y ajoute le regret face à un immense gâchis. Les sondages le disent, l’anticipent, une sacrée tempête s’apprête à s’abattre sur la France. Même avec des pincettes, les sondages sont révélateurs d’un morne printemps à venir pour les candidats d’une gauche/verte multiple, plus divisée que jamais. Morcelée, pour ne pas dire moribonde.

    Moribonde, dans sa lente agonie, entamée après le fossoyage du Parti communiste francais par son principal artisan, Francois Mitterrand et, plus proche, le lessivage du parti socialiste francais avec à la baguette de la grande machine à laver Francois Hollande en personne et bien entendu Manuel Valls, entre autres pourfendeurs du socialisme francais. Comme tellement d’autres leaders supposément socialistes du reste, et pas uniquement en France!

    Les conséquences se mesurent aujourd’hui à travers la visibilité des urnes, scrutins après scrutins hormis quelques soubresauts et, surtout, la défiance des électorats, sympathisants de ces partis, vis-à-vis de leurs leaders de pacotille, plus que jamais lâchés par des hommes et des femmes, des jeunes qui crurent en eux. Qui, comme beaucoup de citoyens lassés, ont finalement déserté les bureaux de vote.

    Quant aux postures actuelles d’un Mélenchon ou d’un Jadot, qui ambitionnent eux aussi la présidence de la République, ils se ferment tous deux comme des huîtres – pardon pour les huîtres – à l’idée d’une candidature unique de la gauche plurielle, y compris avec une possible intrusion dans la campagne de l’ex-ministre Taubira qu’ils voient d’un mauvais œil. Comme une pilleuse de voix. Ce qu’elle ne saurait être si l’un et l’autre étaient en mesure de rassembler les voix autour de leurs discours. Pour l’heure inaudibles.

    Pressentie, la faillite collective de la gauche au sens large, comprenant les verts dérive du narcissisme insensé et aveugle de candidats détenteurs de leurs certitudes et vérités. Des discours et arguments tenant parfois plus du sectarisme que des réalités politiques dans le refus d’un programme commun. Même minimum…. mais dont ces candidats ne tireraient aucun bénéfice. Et surtout plus aucune visibilité médiatique personnelle!

    A coup sûr cette gauche désunie et rigide a quelque chose de pitoyable, avec des hommes et des femmes qui se signalent par leur manque de charisme. La défaite, le fiasco a prévoir, ces candidats en porteront seuls la responsabilité. Les enjeux clairs liés aux problèmes sociaux et au climat ne manquent pourtant pas. Le problème est que les sujets sont abordés par la plupart des candidats avec des contradictions rédhibitoires et dans le cafouillage le plus total. Au point de rendre illisibles leurs discours.

    Un suicide collectif, un naufrage à nul autre pareil, avec son lot de sacrifiés, appelé électorat. Un électorat composé de citoyens sympathisants, une fois de plus trompés sur le pari de leur avenir, et qui n’auront d’autre constat que le sentiment d’avoir jeté à la poubelle de l’histoire leurs bulletins de vote.

    Vous avez dit gâchis?

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