Daniel Koch, «A l’heure actuelle, je ne vois pas ce qu’apporte la Task force»


En Suisse, Daniel Koch est presque aussi célèbre que Roger Federer. Le Monsieur Covid de la Confédération, qui a pris sa retraite entre la première et la deuxième vague, continue d’observer la situation de loin. Doté d’un MPH de Johns Hopkins, ce médecin a dédié la majorité de sa carrière à la santé publique. Il est donc bien placé pour commenter les différentes stratégies de défense face à la pandémie. En tant qu’ancien chef de la division maladies infectieuses de l’OFSP, Daniel Koch est revenu sur les décisions prises pour gérer la crise. Et, contrairement à d’autres, il en tire un bilan plutôt positif.

Une interview réalisée par Amèle Debey, initialement publiée sur L’Impertinent.

Comment allez-vous, depuis le temps qu’on ne vous voit plus? Et que faites-vous désormais?

Je vais très bien, merci. J’ai encore quelques demandes pour des présentations, mais c’est beaucoup plus tranquille qu’avant.

Dans la gestion de la crise Covid, avez-vous parfois dû tenir des positions contraires à vos convictions profondes?

Je ne pense pas, non. Bien sûr, rétrospectivement, on se dit qu’il y a des choses qu’on aurait pu faire différemment. Mais j’ai toujours suivi, compris et soutenu les décisions du Conseil fédéral.

Qu’auriez-vous pu faire différemment, par exemple?

Si on compare avec les autres pays d’Europe, on voit que le Danemark s’en est beaucoup mieux sorti. La différence vient de leur stratégie de tests, dès l’été 2020, qui a été plus efficace. Au lieu de mettre les gens en quarantaine, ils ont testé tous les contacts. Ils ont fait beaucoup plus de tests que les autres pays européens et je pense que cela les a aidés à obtenir la confiance de la population.

Vous aviez pourtant fini par «admettre» que la fermeture des écoles était plutôt destinée à envoyer un message à la population qu’à remplir un rôle sanitaire. N’est-ce pas une décision que vous regrettez?

Au début, lors de la première vague, les enfants étaient très peu atteints et très peu transmetteurs du virus. A cette époque, c’est vrai, nous savions qu’il n’était pas nécessaire de fermer les écoles, mais nous ne pouvions pas l’éviter puisque tous les pays alentours le faisaient. Cela aurait donné une image fausse.

La fermeture des écoles a été le choc nécessaire à la population pour comprendre le sérieux de la situation dans laquelle nous nous trouvions. Si nous ne l’avions pas fait, on ignore si la population aurait agi de la même manière, en restant à la maison, en gardant les distances et en protégeant les grands-parents.

Donc, à vos yeux, il ne s’agissait pas d’une erreur? Parce que les enfants qui ne vont pas à l’école, il faut bien les mettre quelque part…

Justement, cela a amené les gens à rester à la maison. Ce qui a plutôt aidé. Je ne pense pas que c’était une erreur. Lors de la première vague, nous n’avions rien: ni médicament, ni vaccin. Les hôpitaux ont rapidement été amenés à la limite de leurs possibilités. C’était donc une bonne décision.

Cela a donc fait partie d’une stratégie globale destinée à ce que les gens restent à la maison?

Oui.

Au début de la crise, vous vous êtes positionné contre le port du masque. Est-ce que c’était parce qu’il n’y en n’avait pas?

Pas du tout! Il faut être honnête: au début de la crise, l’OMS a dit qu’il n’y avait pas de preuve de l’efficacité du masque dans les lieux publics. Je pense qu’il était plus important d’expliquer aux gens de respecter la distanciation sociale et de protéger les groupes vulnérables que de porter le masque. C’est un outil supplémentaire utile. Mais pas déterminant.

Pourtant ce masque a été imposé partout. On parle même de le conserver malgré la levée des autres mesures. Que pensez-vous de tout cela, vous?

Le masque est utile pour se rappeler qu’il faut faire attention. Maintenant qu’on lève les mesures, il faut tout de même penser aux gens à risques. Pour eux, il ne me semble pas inacceptable de conserver le port du masque. Certaines personnes ne peuvent pas se protéger eux-mêmes totalement. Le masque n’est pas inutile dans leur cas.

Que penser du confinement, stratégie qui nous vient de la Chine, laquelle ne se distingue pas vraiment par ses valeurs démocratiques?

En Suisse, nous n’avons pas eu de confinement. Il y a eu des recommandations de rester chez soi, mais nous n’avons jamais interdit aux gens de sortir. Il y a bien sûr eu la fermeture des restaurants et des magasins, mais la situation était sans commune mesure avec les pays voisins.

Je trouve que notre stratégie a été utile, parce qu’il y a tout de même eu beaucoup de morts. Nous avons fait attention à ne pas prendre de mesures qui n’étaient pas absolument nécessaires. Elles étaient proportionnées.

La stratégie du «tout vaccinal» est-elle vraiment efficace sur un virus ARN qui mute en permanence?

La vaccination est d’une grande aide. Je ne crois pas qu’on en serait là actuellement sans le vaccin. Il est vrai qu’il n’est pas comparable à celui contre la rougeole, par exemple, qui permet d’éradiquer le virus. Il offre une protection partielle et temporelle. Mais cette protection suffit pour éviter les formes graves, malgré le fait que le virus continue à circuler.

Comment se situe la Suisse, paradis des pharmas, en matière de conflits d’intérêts, dans ce genre de situation?

Le gouvernement n’a pas subi de pression des industries pharmaceutiques, au contraire. On a eu la chance d’avoir la compagnie Moderna qui a commencé à produire des vaccins en Suisse. Je ne pense pas qu’il y ait eu de conflits d’intérêt. Je ne vois pas.

Pour l’avenir, nous devons tenter de mieux faire dans la distribution des vaccins et des médicaments pour toute la planète.

Il a été rapporté récemment que vous étiez favorable à la dissolution de la Task force. Est-ce exact?

Ce n’est pas à moi de juger, c’est une question d’évaluation extérieure. Il s’agit de savoir si la Task force a vraiment apporté ce que l’on espérait, ou non. A l’heure actuelle, je ne vois pas en quoi elle apporte grand-chose.

Ignazio Cassis a dit récemment, sur le plateau d’Arena, qu’il était normal de ne pas pouvoir faire la différence entre les morts DU Covid et ceux morts AVEC le Covid. Est-ce que ça ne pose pas tout de même un petit problème de statistiques?

Non, pas vraiment. Il est très difficile de faire cette distinction pour les cas individuels, parce que les morts sont souvent les plus faibles et les plus âgés, avec des comorbidités. La façon la plus fiable est de comparer la surmortalité sur les années précédentes. On regarde alors le nombre de décès, par classe d’âge. On voit qu’il y a eu beaucoup plus de morts durant le Covid – en fonction des vagues – que les autres années.

Il me semblait que la surmortalité n’était pas si évidente, notamment lorsqu’on remonte jusqu’à 2015.

Au contraire, c’est très clair. Le système Euromomo, qui existe en Europe depuis 2016, compare les différents pays. Si la surmortalité était élevée pendant les gros épisodes de grippe, elle n’a jamais été aussi haute que pendant le Covid. Et ceci malgré les mesures très strictes que nous avons prises.

C’est un système indépendant du diagnostic, qui montre très bien que la surmortalité a augmenté à partir de 45 ans.

Pendant cette crise, nous avons concentré tous nos efforts sur le virus, en mettant de côté la santé publique dans son ensemble. La santé mentale, par exemple, l’exercice, les contacts humains, les divertissements. Ne voyez-vous pas un problème là-dedans?

Depuis le début, on a toujours dit que la santé publique n’était pas seulement le fait de combattre l’épidémie, mais de regarder l’ensemble de la santé de la population. L’état mental des jeunes était très importante. Je me suis engagé afin que le sport reprenne le plus vite possible, car c’est un élément très important.

Justement, pendant deux ans on a mis tout cela sous cloche…

Pas totalement! La Suisse a été le premier pays à permettre aux juniors de reprendre le sport. On a eu beaucoup de possibilités d’en faire en été. Le sport professionnel était possible, beaucoup plus que dans les pays asiatiques. Si on compare nos pratiques du sport avec les Jeux Olympiques de Pékin, on voit que l’Europe s’est donné la peine de tout mettre en œuvre pour améliorer les choses.

Lorsqu’on voit que les personnes dépourvues de pass sanitaire ne peuvent pas aller au restaurant, à la gym, à la piscine, nulle part en fait. Trouvez-vous normal que ces activités soient dépendantes d’une vaccination?

Quand le virus était plus agressif et la population moins vaccinée, le pass sanitaire était une nécessité pour éviter les fermetures. Demain, les mesures vont être levées, à l’instar de bien d’autres pays scandinaves.

L’allégement des mesures ne survient pas parce que l’on remet en doute leur efficacité, mais parce que l’on estime que la situation le permet. Est-ce que cela veut dire que l’on peut s’attendre à les voir revenir?

Non. Je pense que l’avenir de ce virus est de se normaliser, comme d’autres avant lui. Il va circuler en immunisant la majorité des gens. Quant aux groupes vulnérables, il faudra probablement les vacciner chaque année, comme on le fait pour la grippe.

Si on prend en compte tous les facteurs de mortalité ces deux dernières années: les retards de diagnostic, les soins retardés, les syndromes de glissement dans les EMS, les suicides… la gestion de la pandémie n’a-t-elle pas fait plus de victimes que le virus lui-même?

Certainement pas en Suisse. Tous les chiffres l’affirment. En ce qui concerne le monde entier, je pense que cela a été le cas de beaucoup de pays, où les mesures ont fait beaucoup plus de dégâts. Il faudra des évaluations approfondies pour déterminer si les décisions n’ont pas fait plus de mal que de bien. Si on pense aux pays dans lesquels les gens ont besoin de travailler quotidiennement pour survivre, il est clair qu’un confinement n’est pas approprié.

Il va être difficile de comparer tout cela, car il y a beaucoup de facteurs qui influencent une pandémie en fonction des pays. Il nous faudra des années pour arriver à des conclusions fiables.

Nous avons pu constater que ce virus avait un taux de mortalité assez faible, ce qui ne nous a pas empêché de prendre des mesures drastiques, de mettre l’économie sur pause, de traumatiser plusieurs générations: que va-t-on faire lorsqu’un virus plus dangereux apparaîtra?

C’est un peu l’erreur de fond: on pense toujours que la différence dépend du virus, mais en fait elle dépend de la population. Il faut s’adapter à chaque fois. Au début de la pandémie de HIV, il y a également eu des mesures strictes et des propositions extrêmes, comme de tatouer tous les infectés. Au fil des ans, nous avons trouvé une manière de vivre avec cela.

Chaque virus, chaque pandémie est différente. On ne peut pas juger par avance. On verra bien.

© Canal9

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