Ma grève du commentaire


PAR CHRISTIAN CAMPICHE

Ma boîte à courriels n’aime pas les poètes, elle relègue leurs oraisons dans la case aux indésirables. Mais comme ce n’est pas elle qui décide de mes faits et gestes, je t’ai repêché, mon cher Alcide! J’ai exhumé le texte dans lequel tu commentes le parchemin de mes pérégrinations mentales. Tu vois juste: je n’écris plus d’éditoriaux depuis un mois. Mais la Méduse avance quand même. Avec beaucoup d’images, plus de poésie. Adaptée au temps méchant.

Tu me demandes si c’est l’inspiration qui fait défaut, la curiosité ou la patience. Mais non, rassure-toi! Le coupable est l’actualité. Eh oui, un paradoxe et un comble à l’heure des événements qui inondent notre quotidien. La guerre en Ukraine devrait offrir au journaliste une mine d’informations et d’indignations. Chez moi, l’effet est contraire. La guerre me fait prendre conscience de la vanité des opinions. Je trouve de très mauvais goût de parler de la couleur de la fiche électorale de M. ou Mme tel et telle. La haine inonde les médias, alors qu’il faudrait élever les consciences, éprouver de la honte devant l’immonde. 

Voilà, tu m’as bien compris, je fais en quelque sorte la grève du commentaire. Et je n’éprouve aucune frustration devant ce vide qui s’offre à mon regard en observant la Une de mon journal. Bientôt paraîtra un recueil contenant tous mes éditoriaux des dernières années? La postérité jugera. Et puis pourquoi faudrait-il exprimer un avis sur tout? Doit-on tout savoir? La mauvaise conscience n’intervient qu’à partir de la connaissance. Celle-ci correspond-elle à des faits réels? Doit-on tout croire?

Par contre me vient l’envie de revenir à mon ancien dada, l’investigation. Les sujets d’enquête ne manquent pas. Le premier qui me vient à l’esprit  est la santé et ses cadors. L’OMS, en premier lieu. Pour sonder les tréfonds de ce machin, je fais confiance à la jugeote et au bon sens, davantage qu’à la fibre optique. Le monde ne s’est pas arrêté de tourner le jour où Pierre et Jacques, deux reporters au long cours chers à mon amitié, se munirent d’un téléphone portable. Le confinement avait eu raison de leur obstination à préserver leur espace de liberté. Jusque-là, le monde s’arrêtait de tourner quand Pierre et Jacques quittaient leur domicile. Nul ne pouvait les joindre. Il fallait s’armer de patience, attendre leur retour. Comme Albert Londres, leurs enquêtes les menaient aux antipodes et se nourrissaient du contact direct avec l’habitant. Les porte-parole des gouvernants, ils ne connaissaient pas. Ces communicants qui manipulent les médias en leur racontant des salades dans lesquelles on trempe la langue de bois. Tant il est vrai que le quidam, on peut le conditionner à l’envi, à partir d’informations qui influencent son émotivité. Pendant des années vous avez salué votre voisin de palier. Jusqu’au jour où vous apprenez qu’il a des antécédents judiciaires graves. Vous ne le voyez plus de la même manière. Mais que savez-vous réellement de lui?

« Aujourd’hui, on n’a pas le droit, ni d’avoir faim ni d’avoir froid! », chantaient les Enfoirés en 1982. Que dirait aujourd’hui la bande à Coluche? 40 ans après on a toujours le droit d’avoir froid en France. On a même le droit d’en mourir! Victime d’un malaise, René Robert, un photographe connu, s’est  effondré sur un trottoir de Paris où il est resté sans connaissance pendant de nombreuses heures avant de décéder. Il n’a pas attiré le moindre regard compatissant de la part des nombreux passants. 

L’homme: vous avez dit un animal doté d’empathie?


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Un commentaire à “Ma grève du commentaire”

  1. Martin de Waziers 16 mai 2022 at 04:47 #

    Waw, vous avez tellement raison de vous insurger contre la bêtise de ce monde! Mais, quel bonheur de vous lire à nouveau car vous savez mettre les points sur les ‘i’ et nous rappeler à la réalité ! Ne lâchons pas l’investigation et poursuivons l’indépendance de nos commentaires !

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