Meduza, le média qui défie le Kremlin


PROPOS RECUEILLIS PAR EDGAR BLOCH*

Media en ligne russe indépendant, fondé en 2014, Meduza, diffuse des informations sur la guerre en Ukraine aux Russes et au monde entier. Entretien avec son rédacteur en chef Ivan Kolpakov (photo DR).

A quoi ressemble la vie quotidienne d’un rédacteur en chef comme vous à Meduza?

L’invasion en Ukraine a constitué un grand tournant. Nous sommes soudainement devenus un grand média russe et avons répondu au défi de travailler sans relâche 24heures sur 24, tout en évacuant 23 personnes de Russie dans les premières semaines de l’invasion. Par ailleurs, nous avons rencontré des problèmes en raison des sanctions financières occidentales prises contre la Russie, Meduza se trouvant en Lettonie, dans l’UE. Par la publicité, les firmes russes ont aussi largement répondu à nos demandes, nous considérant attractifs.

Vous devez quand même chercher d’autres financements?

Depuis avril 2021, nous étions déjà discriminés, estampillés comme ennemi de la Russie. Mais avec notre directrice Galina Timchenko, toute notre équipe s’est mobilisée pour résister. Avec la guerre, le 24 février dernier, nous avons en effet perdu d’un coup 33’000 donateurs réguliers qui nous versaient de l’argent chaque mois, le 24 février. Nous nous sommes alors tournés vers le crowdfunding. Notre campagne a abouti auprès de beaucoup de contributeurs venant d’Europe et d’Amérique du Nord. 50% de nos objectifs sont aujourd’hui atteints, même s’il reste beaucoup à faire.

Comment est organisée votre rédaction depuis l’exil?

Aujourd’hui la majorité de nos employés travaillent depuis Riga. Avant l’invasion, des journalistes et des correspondants étrangers couvraient encore le terrain de manière ouverte. Malgré le départ de notre personnel de Russie, nous y conservons discrètement des journalistes. D’autres œuvrent également en Ukraine et en Europe.

Parvenez-vous à protéger la confidentialité de vos sources et surtout leur sécurité dans un environnement de plus en plus difficile ?

Oui, mais les choses ont toujours fonctionné de la sorte chez Meduza. Dès le début en 2014, les journalistes sur le terrain ont acquis à la fois une sacrée expérience et une forte personnalité. Ils mesurent bien le danger et la pression extrême. Nous avons appris à nous montrer très prudent à ce sujet, tout reportage pouvant être risqué. Nos sources ne sont pas uniques et montent jusqu’au Kremlin. Assurer leur confidentialité est un gros défi.

Quels sont vos lecteurs?

A nos débuts en 2014, on est parti de zéro, comme un média expérimental. Nous avons alors travaillé pour les plus grands médias russes. Or, ceux-ci sont très conservateurs et il est difficile d’effectuer des changements. Nous avons expérimenté de nouvelles formes de journalisme et de technologie. Meduza produit plusieurs plateformes et a développé un service plurilinguistique (russe anglais), de nouveaux designs et photos. Des changements probants: aujourd’hui, plus de 50 % de nos lecteurs ont moins de 35 ans. Un résultat exceptionnel, car ce public a de l’argent, veut vivre dans un autre monde, est éduqué et tourné vers les valeurs de l’occident. Ces personnes considèrent l’invasion du 24 février dernier comme une catastrophe et veulent une Ukraine libre. Dans les universités et les grandes villes Meduza est le média numéro 1.

Pouvez-vous mesurer votre influence sur l’opinion publique russe qui a un accès très limité par les autorités à une information libre?

Difficile à se montrer précis, mais Meduza est un des rares médias à avoir su répondre à l’interdiction d’exercer un journalisme indépendant en Russie. Notre application, mise à jour après avoir été bloquée, rencontre le succès. Le nombre de téléchargements a été multiplié par trois depuis l’invasion. Notre jeune audience, nous privilégie. Nos lecteurs savent utiliser les VPN et sont habitués au multimédia. Nous avons essayé d’établir un écosystème en mesure d’éviter les blocages russes. On peut nous lire sur Telegram, sur le courriel. Le grand nombre de reportages en provenance d’Ukraine est apprécié.

* Co-président d’impressum. L’interview sera publiée dans le rapport annuel 2022 de cette organisation faîtière du journalisme suisse.

 

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