France, le péril de l’abstention


PAR YANN LE HOUELLEUR, à Paris, texte et photos

Attention, danger ! L’une des plus importantes démocraties européennes, la France, est en proie à un cancer dévastateur : l’abstention, dont les métastases deviennent toujours plus agressives. Le second tour des élections législatives, qui s’est déroulé le dimanche 19 juin 2022, a créé la surprise puisque la majorité absolue a échappé au président de la République. (Il faudrait 2/3 des sièges nécessaires notamment à l’altération de la Constitution, et ce sera dorénavant impossible.)

Les deux principaux contempteurs d’Emmanuel Macron, à savoir Jean-Luc Mélenchon (NUPES, Nouvelle union populaire écologique et sociale) et Marine Le Pen (RN, Rassemblement National) ont obtenu des groupes d’une importance inattendue dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale. A l’heure où nous bouclons cette lettre hebdomadaire d’infoméduse, il reste à affiner la comptabilisation des scores dans les 577 circonscriptions. En tout cas, ces résultats viennent corroborer une certitude que beaucoup de spécialistes et analystes partageaient : le “premier parti de France” réunit celles et ceux qui ont pris l’habitude de bouder voire boycotter les urnes. Ce dimanche, précisément, près de 55 % des citoyens inscrits sur les listes électorales ne se sont pas déplacés dans les bureaux de vote.

AVANCEE INEXORABLE – Quelques chiffres, que nous allons égrener brièvement, démontrent cette avancée inexorable de l’abstention dans l’Hexagone. Il y a cinq ans, au second tour des législatives, 57,36 % avaient tourné le dos aux urnes.

Lors d’élections “de proximité” comme les municipales, la même tendance avait été observée : l’abstention demeurait sous la barre des 30% jusqu’aux municipales de 1989 ; puis elle n’a cessé de gagner du terrain pour atteindre un niveau historique en 2020, avec 55,3% d’abstentions au 1er tour.

D’ores et déjà, il faut bien se résoudre à constater la principale ligne de fracture au sein de l’électorat : les jeunes sont les principaux déserteurs sur ce terrain alors que les plus âgés témoignent une confiance plus solide dans les institutions et leurs représentants. Pourtant, depuis plusieurs années, la classe politique s’est considérablement rajeunie. Par dizaines, des « barons » ancrés dans leurs territoires ont été éjectés de leur siège. Mais quel que soit l’âge des électeurs, ces vertus qui devraient incomber à tous les hommes et partis politiques semblent de moins en moins sanctuarisées : la crédibilité, la sincérité, l’honnêteté, la compétence et souvent même la bienveillance. Cet observateur très caustique de la vie politique qu’est Ivan Roufiol (70 ans), à la fois présent dans les colonnes du Figaro et sur le plateau de Cnews, met le doigt sur la plaie : « Nous assistons à une déconnexion sans précédent entre le peuple et ses élites. »

UNE MYRIADE DE SCANDALES – Effectivement, nous sommes nombreux à percevoir que nombre de nos élus ne servent quasiment à rien, sauf à être au service de ce qu’on pourrait appeler « la main invisible… » De plus en plus, ouvertement, des citoyens se posent des questions essentielles, se forgeant une opinion par eux-mêmes sans pour autant se laisser manipuler par des « merdias » dont on connaît les liens toujours plus étroits avec le monde des affaires. Peut-être, se demandent un nombre croissant d’anonymes, les destructeurs de la démocratie ont-ils adopté une stratégie écœurante : nous dégoûter de la démocratie elle-même, la rendant ridicule et futile, afin de nous détourner de notre vocation à être, autant les uns que les autres, des citoyens. Rappelons que jamais autant de scandales et d’affaires n’ont éclaboussé une mandature, en l’occurrence les cinq premières années de M. Macron à l’Elysée, dont le bilan est assez désastreux : d’abord, les frasques d’Alexandre Benalla, l’un des gardes du corps de M. Macron ; la brutalité sanglante avec laquelle les Gilets Jaunes ont été traités en 2018 et 2019 ; les mensonges et manipulations commises par nombre de ministres et hauts fonctionnaires lors des mesures coercitives prises par l’exécutif au plus fort de la pandémie de la Covid, de nombreux conflits d’intérêt (dont celui concernant le cabinet McKinsey & Company), le démantèlement d’entreprises nationales, l’affaiblissement voire une certaine mise à mort de la Santé publique… Et pout couronner le tout, le retentissant scandale survenu le 28 mai dernier au Stade de France avec les invraisemblances accumulées par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin qui a fait des supporters de Liverpool FC ses têtes de turc…

PHASES MEPRISANTES – Sans oublier, bien entendu, des phrases très malheureuses, cousues de mépris, prononcées par le président et plusieurs des ministres à l’encontre des strates les plus modestes de la population. (Pour en revenir aux manifestations des Gilets jaunes, Christophe Castaner, alors ministre de l’Intérieur, avait évoqué, « des misérables à massacrer (…) ». Manque de bol : défendant les couleurs de Renaissance, le parti présidentiel, il a été battu au second tour dans sa circonscription, le dimanche 19 juin.)


Certes, la France est en proie à un cuisant déclassement mondial. Comme nous l’avons vu, il n’est pas dans l’intérêt des élites de conscientiser les citoyens quant aux dangers susceptibles d’assombrir leur futur. A l’heure où l’intelligence artificielle est considérée comme la panacée en matière de sécurité, comment expliquer que les gouvernements, au fil des décades écoulées, aient si peu favorisé l’acquisition du savoir, de l’intelligence (tout court) et de la culture ?

LA CHANCE DE POUVOIR VOTER – Il est temps, en France comme ailleurs, que nous prenions conscience de la chance que nous avons de pouvoir mettre un bulletin, à plusieurs reprises, dans l’urne et de même de pouvoir manifester sur la voie publique (moyennant une déclaration préalable en préfecture) . Peu nombreuses en définitive sont les Nations où il existe un réel corps électoral car la plupart de nos contemporains vivent dans des territoires où ce droit leur est carrément refusé par d’odieuses dictatures. Faut-il rappeler que récemment, à Cuba, des centaines d’opposants au président Miguel Díaz-Canel ont été condamnés à plusieurs années d’emprisonnement pour avoir exigé, pacifiquement, un assouplissement du régime en vigueur ?

Personnellement, je suis en faveur du vote obligatoire qui inciterait nos énarques au pouvoir, si peu imaginatifs, à instaurer des cours d’éducation civique, autant dans les écoles que dans les médias.



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Un commentaire à “France, le péril de l’abstention”

  1. Dominique OLGIATI 20 juin 2022 at 07:16 #

    MERCI et Bravo; ce triste constat est aussi valable pour d’autres pays p.ex la Suisse

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