«Il n’y a pas d’obligation vaccinale en Suisse, c’est dans ce sens que nous nous engageons dans les négociations à l’OMS»


PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTIAN CAMPICHE ET DANIEL WERMUS

A l’Organisation mondiale de la santé (OMS), d’importantes négociations se déroulent entre Etats membres, sans que la population suisse sache vraiment à quelle sauce elle sera mangée. Responsable de la division Affaires internationales de l’Office fédéral de la santé publique, l’ambassadrice Nora Kronig Romero dirige la délégation suisse à l’OMS. Elle a accepté de répondre aux questions d’infoméduse. 

– Quelles sont les prochaines échéances de négociation à l’OMS?

L’OMS a des rencontres régulières pour discuter des sujets de santé de son ordre du jour ordinaire. La prochaine Assemblée mondiale de la santé est prévue en mai 2023. Dans le processus de négociation d’un nouvel instrument, la prochaine rencontre aura lieu début décembre.

– Qu’attendez-vous de ce round?

Dans un premier temps on a rassemblé les idées sur l’ampleur de cet instrument, sur tous les sujets qui doivent être traités pour se préparer et répondre au mieux aux pandémies. On a reçu une première proposition sur laquelle les Etats se sont penchés. On part du principe que l’on pourra discuter plus en détail du texte lors de la prochaine séance.

– On parle bien du Traité ou d’autre chose?

On parle du processus du Traité. On n’a pas encore décidé s’il s’agira d’autre chose.

– Vous dites «on n’a pas décidé». Qui décidera?

Il y a eu un échange entre les Etats membres lors de la dernière négociation. On a décidé que l’on avait une préférence pour un instrument contraignant. La forme juridique définitive devra encore être décidée, par les Etats membres.

– Comment se préparent les négociations? Quels départements sont consultés? Affaires étrangères, sans doute, mais aussi Finances, Défense?

Dans le domaine de la santé, on a la chance d’avoir une politique approuvée par le Conseil fédéral. Elle rassemble tous les offices de la Confédération s’occupant des questions sanitaires. Dans notre rôle de chef de file de représentation des intérêts de la Suisse on consulte toutes les personnes qui doivent l’être. Un exemple: si des questions de propriété intellectuelle se posent, les experts compétents nous accompagnent dans les négociations en apportant leur expertise.

– Le projet de traité sur la prévention des pandémies, discuté à Genève en mai dernier, est-il encore d’actualité? Selon le professeur Gian Luca Burci de l’IUHED (interview publiée dans infoméduse) il ne sera pas sous toit avant 2024.

Il y a deux projets en parallèle. Le règlement sanitaire international (RSI) a été adopté en 2005. Suite à la pandémie, des discussions ont été lancées dans le cadre des discussions de l’OMS pour procéder à une révision du RSI. Les Etats se sont mis d’accord sur la nécessité de garder l’instrument contraignant qui est au coeur du partage de l’information. Un processus de révision a été lancé en mai et se poursuit actuellement.

En parallèle se déroulent les négociations regroupant l’idée d’un nouveau texte, un nouvel instrument, contraignant ou pas, pouvant prendre la forme d’un traité ou pas. Il s’agit des négociations que j’ai mentionnées auparavant. Ces deux éléments vont être portés à l’attention des Etats membres de l’OMS. Il s’agit donc bien de deux processus distincts.

– Notre souci, en tant que journalistes, est de véhiculer un message qui soit vulgarisé pour le grand public car tout cela est très technique. Finalement que doivent comprendre les habitants de ce pays? Va-t-on vers un traité international qui contraindra la Suisse?

Ce qui est très important pour la Suisse, c’est qu’il existe un Règlement sanitaire international approuvé par la Suisse. Cela signifie que la Suisse s’est engagée à transmettre les informations sur un certain nombre de virus et à mettre en place une collaboration avec d’autres pays. Dans le cas du corona, il s’agit de déterminer aujourd’hui ce qui a fonctionné et ce qui n’a pas fonctionné, en matière notamment de mise à disposition rapide des informations. Il est très important pour la Suisse, petit pays au centre d’un continent, de savoir ce que les autres pays annoncent sur leur territoire, que ce soit en matière de virus ou d’autres vecteurs de maladie comme la rage, par exemple. En parallèle, il y a une volonté politique de réfléchir à cette question: de quoi avons-nous encore besoin, en plus de ce règlement de base? Se mettre d’accord sur des éléments plus larges, comme la manière de trouver et produire rapidement des vaccins, la mise en place de capacités de laboratoires accrues, etc. Cette discussion sur le «plus», elle vient de commencer. Encore une fois, il est très important d’expliquer la différence entre l’instrument qui existe déjà, très important et que l’on veut améliorer, et une discussion beaucoup plus large et ouverte sur les besoins supplémentaires afin de mieux se préparer et répondre à la situation.

– La population est très sensible à un point qui la scinde en deux, on l’a vu lors de la votation de novembre 2021 sur la loi Covid, c’est la question vaccinale. Peut-on imaginer que l’on arrive à une obligation vaccinale?

Il faut être très clair, il n’y a pas d’obligation vaccinale en Suisse. C’est dans ce sens que nous nous engageons dans les négociations. A ce stade, il n’y a pas, à mon sens, de discussion sur l’obligation vaccinale. Ne serait-ce que parce qu’à partir du moment où très peu d’Etats la pratiquent, cela semble peu réaliste d’aller dans ce sens. Evidemment, il est très important pour la Suisse de s’engager pour le développement et la production future de vaccins.

– Avant de négocier des nouvelles règles sur les pandémies, pensez-vous qu’il serait utile de demander d’abord une évaluation de la gestion de la crise sanitaire par l’OMS depuis 2020? Un bilan, une sorte d’audit à la manière de ce qui se pratique dans les entreprises. Ce qui a marché, ce qui n’a pas marché. Cette évaluation a-t-elle été faite?

Elle fait partie de ces discussions. Les Etats arrivent à la table des négociations avec leurs besoins, leurs difficultés, les réussites, les choses qui ont moins bien marché, comme vous dites. Raison pour laquelle nous restons très ouverts sur la manière de façonner un tel instrument. Tenir compte des leçons apprises. Il est encore prématuré de dire quel sera le résultat concret de ces discussions. Pour nous le plus important, c’est que les informations circulent, c’est de déterminer à quel point nous devons nous mettre d’accord dans la crise que l’on vient de vivre. D’où la nécessité de le faire de manière concertée.

– C’est pour cela que le processus est très long. Il n’aboutira pas avant 2024, vous êtes d’accord avec le professeur Burci?

Il est toujours difficile, au début d’une négociation, de dire combien de temps elle va durer. Des échéances ont été prévues, je reste personnellement convaincue que l’on doit prendre le temps nécessaire pour réfléchir à ce dont nous avons besoin et voir ensuite comment on peut se mettre d’accord. Les Etats ne parviennent pas tous aux mêmes conclusions.

– Les liens étroits entre les fabricants de vaccins et traitements sont-ils abordés dans ces négociations? Est-ce que la Suisse est sensible à ce problème?

Si vous parlez de projets qui sont financés par des organisations philanthropiques, il s’agit d’une chose très réglée dans le cadre de l’OMS, les règles sur ce qui est possible ou pas sont très claires. Ce qui vaut par ailleurs pour l’ensemble des interactions de l’organisation avec le secteur privé. La Suisse estime qu’il est très important que l’OMS soit financée de manière durable. Le budget de l’ensemble de l’organisation correspond à celui des Hôpitaux universitaires de Genève. Nous militons pour que le financement par les Etats augmente de façon à rendre pérenne l’action de l’OMS. S’il s’agit de l’interaction du secteur privé sur certains sujets pour trouver des solutions, par exemple la recherche, le développement ou la production de vaccins, la pandémie a démontré l’importance d’un travail commun entre les secteurs public et privé. Etant entendu qu’il faut tenir compte des différents intérêts. Cette coopération a bien fonctionné, elle a permis de trouver des solutions, en l’état.

– Le journal en ligne alémanique infosperber relaie les conclusions d’une enquête réalisée par l’hebdomadaire allemand «Die Welt am Sonntag» dont les recherches montrent que M. Bill Gates a exercé une influence massive sur les gouvernements et l’OMS, peut-être encore plus importante que celle des Etats. Confirmez-vous cette influence ou au contraire estimez-vous que ce n’est pas du tout le cas?

Je n’ai pas connaissance de cette enquête. Il m’est difficile de me prononcer sur cela. Ce que je peux dire c’est que la négociation actuelle se passe entre Etats membres.

– La question du respect des droits humains et des libertés, inscrit notamment dans l’art 3 du Règlement sanitaire international, est-elle prise en compte dans les négociations?

Ce qui est important pour nous dans les discussions, c’est de savoir quels sont les éléments dont la Suisse doit disposer pour se préparer à répondre à des pandémies. Il faut toute une série de choses: être en mesure de détecter les virus, partager l’information rapidement, réagir. Evidemment dans tous ces éléments-là, c’est la protection de la population qui est au centre. Il en va de la responsabilité de l’Etat à l’égard des citoyens. Maintenant, on l’a vu dans la pandémie, il est sûr que les réponses, de par les dangers que présentait le virus, ont eu en partie un impact extrêmement fort sur les individus. Je crois que pendant la crise, c’est toujours cet équilibre-là qui a été au coeur des réflexions. Et c’est aussi ce qui nous accompagnera dans la discussion future de façon à trouver la meilleure voie possible.

– Est-ce que la Suisse veillera à préserver sa souveraineté en matière de politique de santé en cas de pandémie?

Oui, il ne faut surtout pas oublier que ce sont les Etats qui composent l’OMS. Ce sont eux qui, en pleine souveraineté, se mettent d’accord sur les obligations de collaboration dans lesquelles ils s’engagent. Donc il n’y a à aucun moment une décharge de souveraineté, au contraire, je crois que c’est en étant des Etats souverains collaborant les uns avec les autres que l’on va avancer. Quand on adhère, comme on l’a fait pour le Règlement sanitaire international, il y a un processus de ratification soumis au parlement, voire au peuple. C’est donc la Suisse qui sciemment a l’autorité pour décider de participer souverainement à des accords internationaux ou pas.

– Oui mais si la Suisse dans sa souveraineté décide d’abandonner sa souveraineté, n’est-ce pas un paradoxe de donner à l’OMS des pouvoirs qui ensuite obligeraient la Suisse à déléguer des pouvoirs sans discussion? Quelle est la limite, une ligne rouge que les Etats membres ne souhaiteraient pas dépasser?

Tout Etat peut à tout moment, dans n’importe quel traité international auquel il aurait adhéré, se retirer. Je ne vois pas l’élément d’abandon de souveraineté.

– Tout à l’heure vous avez parlé des leçons apprises. On peut en déduire que vous corrigez le tir en fonction de ces mêmes leçons. Avez-vous des exemples de correction du tir?

La rapidité de détection et de partage d’informations est extrêmement importante. Prenons le début de la pandémie. Quand on voit un nouveau virus qui émerge en Chine et se propage en Italie puis en Suisse, il faut se dire que plus vite chaque pays est en mesure d’avoir des capacités de laboratoire pour détecter et partager aussi rapidement que possible, le mieux c’est pour tout le monde. D’abord parce que l’on a plus de temps pour se préparer. Ensuite on a davantage de possibilités d’en savoir plus. Il est très important de comprendre le plus vite possible à quoi on a affaire. Au début de la pandémie, on ne savait pas du tout s’il s’agissait d’un virus problématique pour les enfants, par exemple, une information particulièrement importante. Donc la rapidité de capacité de détection est primordiale. Il faut travailler aujourd’hui encore davantage sur ce point. Aussi parce que l’on ne sait pas ce qui peut émerger de nouveau. Mieux on est informé et plus on a le temps de réagir, mieux on est à même de prendre les meilleures décisions.

– Est-ce que parmi ces leçons apprises il n’y a pas aussi la question de la vaccination obligatoire. En Autriche on voulait vacciner à tout va. Ce pays a fait marche arrière. En Suisse, n’a-t-on pas été tenté par la vaccination obligatoire?

Je crois très sincèrement que le vaccin nous a permis de protéger la population et de retrouver une normalité beaucoup plus rapidement. En espérant que nous arrivons à la fin de la pandémie, ce qui n’est pas encore définitif. Ensuite, je crois qu’il était très clair qu’à tout moment pendant la pandémie, la population a joué le jeu. On a pu avancer très rapidement dans la plus grande campagne de vaccination jamais faite en Suisse. Cette approche s’est tout à fait bien déroulée en Suisse.

Propos recueillis par Christian Campiche et Daniel Wermus, Genève/Berne, le 19 septembre 2022

Nora Kronig Romero, photo ©2021 DR

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