Tribune libre – Prendre la mesure du conflit ukrainien


Dans l’absolu, chacun a le droit de s’exprimer sur à peu près tous les sujets, du moins – mais on sent que cela ne durera pas encore très longtemps – en Suisse. Encore convient-il d’avoir un minimum de connaissance de ce dont on parle.

Ainsi de la guerre en Ukraine. Est-on capable de faire le départ entre ce que l’on entend dans les médias audiovisuels officiels, ce qu’on lit dans les journaux ayant pignon sur rue, et la réalité ? Il suffit pourtant de s’en tenir aux faits.

Dans un quotidien romand, une récente lettre de lecteur procède manifestement de quelqu’un qui appartient à la première catégorie : celle des gens embrumés quotidiennement par la propagande issue des officines de Washington et reprise en continu par la désinformation européenne aux ordres. Proférer une énormité comme (en substance) : « la Russie, autrefois belle, a été saccagée par un Poutine émule de Staline, un monstre autocratique dévoilant sa cruauté et ayant enfermé sa population dans un vaste goulag », relève non seulement du délire mais de cette méconnaissance pathologique des faits purs et simples que l’on nomme le déni.

De surcroît, dans une Europe – la Suisse, encore une fois, figurant provisoirement une relative exception – d’où toute liberté d’expression a été bannie (voir la situation française sous le despote Macron), oser prétendre que la Russie poutinienne vit en état de liberté suspendue et qu’il a engagé son pays dans des conflits sanglants un peu partout dans le monde amène à douter que l’auteur de ces paroles et nous-mêmes vivions sur la même planète.

J’ai dans mes relations un ingénieur militaire français, marié à une Russe et installé à Moscou depuis plus de vingt ans. Parallèlement, une de mes collègues et amie depuis un quart de siècle est citoyenne russe, vivant à Rostov, enseignant à l’Université. Le jugement émis par le pourfendeur du régime russe dont je viens de rapporter la teneur de la lettre laisse ces deux personnes intelligentes, raisonnables, honnêtes totalement pantoises. Elles me décrivent au contraire un pays économiquement, socialement, intellectuellement brillamment relevé par le président Poutine, après qu’il fut passé à deux doigts de la disparition sous le règne de l’ivrogne Eltsine, conseillé alors par « d’éminents » spécialistes de l’Ecole de Chicago chargés de ramener la Russie à l’âge de pierre. D’une armée en état de sous-développement, Vladimir Poutine a fait un instrument militaire de premier plan, indispensable pour préserver l’intégrité territoriale des entreprises destructrices du plus grand Etat voyou de la planète : les Etats-Unis.

Quiconque a vécu en Russie sait très bien que la liberté de critiquer le président et le gouvernement, que ce soit dans les médias écrits ou à la télévision, est totale. Ceux qui le font sont, disons-le, essentiellement l’équivalent des bobos de chez nous, qui rêvent d’une Russie américanisée, véhiculant les délires malsains qui empoisonnent l’existence des citoyens qui, en Occident, aspirent à une vie de famille traditionnelle, à des conceptions sexuelles décentes, maintiennent envers leur Histoire, leurs mœurs, leur culture un respect qu’ils entendent bien ne pas laisser salir par des minorités tyranniques à l’esprit tordu. D’autre part, Moscou est décrite comme une ville à la propreté parfaite (comparons avec la saleté physique et morale du Paris de l’hystérique Hidalgo), animée, accueillante, aux magasins débordant de marchandises, aux cafés et restaurants ne désemplissant pas.

Pensant faire de l’humour facile, l’auteur de la lettre tourne en dérision ceux dont il estime qu’ils «inversent les valeurs». Ces naïfs, juge-t-il, n’ont-ils pas l’audace d’affirmer que la gentille Russie se défend contre la méchante Ukraine, alors que la réalité, prétend-il, est exactement l’inverse: la gentille et intègre Ukraine, appuyée par les braves chevaliers américains et leurs régiments otaniens sans peur et sans reproche, est contrainte de repousser les barbares russes qui, sans aucune raison, l’agressent et lui font du mal. Car pour lui comme pour une majorité de lecteurs, la guerre a commencé en février 2022.

Que ne se renseigne-t-il donc ! Car la réalité, la voici :

En 1989, grâce au trop crédule Gorbatchev, le mur de Berlin est tombé. L’occasion était donnée, des deux côtés du rideau de fer, de poser les matraques. Au pacte de Varsovie dissous eût répondu la dissolution de l’OTAN ; on se serait parlé, écouté, compris. La Russie, avec une bonne volonté que même Eltsine manifestait, proposa que Ouest et Est fassent le chemin ensemble et créent un monde apaisé, dont l’entraide aurait été le leitmotiv. Oh, on fit des promesses, certes : celle de ne pas étendre l’OTAN vers l’Est, de ne pas construire de bases américaines dans les anciens pays communistes, de ne pas glisser en sournois des missiles nucléaires toujours plus près des frontières russes. A chaque fois, les promesses furent bafouées par Washington, et aujourd’hui, des bases otaniennes se dressent à quelques minutes de feu nucléaire du territoire russe. Combien Poutine a raison quand il accuse les Etats-Unis d’être le pays du mensonge, une situation qui ne s’est pas démentie depuis les guerres indiennes.

Il faut lire Zbigniew Brzezinski et son Grand échiquier. Il y décrit exactement ce qui est la réalité actuelle: l’Ukraine, affublée d’un régime farouchement antirusse, a été transformée, après le coup du Maïdan, en un rostre de pénétration de la Russie, l’espoir étant d’entraîner cette dernière dans un conflit par lequel elle s’affaiblirait, se décomposerait de l’intérieur, se débarrasserait d’un Poutine qui, en patriote raisonnable et tenace, dérange les plans hégémoniques de l’Etat profond yankee, ce que David Wise et Thomas B. Ross appellent Le Gouvernement secret des USA (Arthème Fayard, 1965). Ce qui n’eût nécessité en effet qu’une « opération spéciale » de sauvegarde des populations russes et russophones du Donbass accomplie en quelques mois s’est changé, de par les livraisons criminelles d’armes et de dollars par les nations de l’OTAN, en une authentique guerre, avec des morts par centaines de milliers
et menace de se métamorphoser en guerre mondiale, à l’issue de laquelle notre Europe sera rayée de la carte. Comme si l’hubris seule de la volonté hégémonique américaine ne suffisait pas, les traîtres qui dirigent nos patries européennes contribuent, sans que les parlementaires n’y fassent obstacle, à notre annihilation.

Réalité travestie ! dénonce le prodige épistolaire. C’est bien de la tyrannie d’un agresseur incontrôlable qu’il s’agit, au détriment de l’innocence d’une victime qu’il est indispensable de soutenir quel qu’en soit le prix. Que répondre, sinon qu’il importe d’inscrire les torts et les motifs légitimes là où ils sont dus. L’Ukraine « innocente et démocratique » n’est ni l’une ni l’autre mais un pays alibi, vendu (les USA, via Bill Gates, y possèdent 30% des terres cultivées), au gouvernement pourri, ayant trahi (avec l’aide des Occidentaux) les accords de Minsk, dirigé, qui plus est, par un président corrompu et passablement mégalomane, acharné à liquider la partie de sa population légitimement attachée à ses racines russes.

La Russie, pour sa part, est la cible, par Ukrainiens interposés, désignée par une Amérique que l’affadissement de sa suprématie mondiale et la menace de l’avènement d’un monde multipolaire met en rage et qui est prête, pour conserver sa domination absolue, à conduire la race humaine à l’anéantissement.

Défendre la Russie, dès lors, mais aussi la Chine et toutes les nations qui refusent l’abrutissement occidental et son hégémonie, est un devoir sacré.

Michel Bugnon-Mordant, Fribourg

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8 commmentaires à “Tribune libre – Prendre la mesure du conflit ukrainien”

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    Christian Lecerf 2 février 2023 at 19:24 #

    Cher Monsieur,
    Cet article dithyrambique devrait vous valoir la médaille de l’Amitié, breloque accordée par la Russie à celles et ceux qui, à l’étranger, savent plaider sa cause.

    PS : Accessoirement, une nouvelle récente concernant ce beau pays…
    “Un journaliste et ex-député russe, Alexandre Nevzorov, a été condamné mardi par contumace à huit ans de détention pour avoir prétendument diffusé de « fausses informations » sur les agissements de l’armée russe en Ukraine. Source AFP
    Heureusement pour lui, ce dangereux plumitif avait peu avant le jugement quitté le territoire russe et obtenu la nationalité ukrainienne.

    • Bugnon-Mordant 4 février 2023 at 09:55 #

      Il a effectivement répandu la fausse accusation émise par Zelenski et ses camarades de l’OTAN concernant le soi-disant bombardement d’un hôpital par les troupes russes. Il a été démontré ensuite que l’accusation était erronée et participait des habituelles méthodes américaines de disqualification de l’adversaire. Nevzorov est ukrainien aussi bien que russe, ce qui explique bien des choses. Quant aux vrais crimes de guerre ukrainiens, j’imagine qu’ils ne vous intéressent guère et que vous suivez en cela la bonne parole des médias occidentaux.

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    Christian Lecerf 4 février 2023 at 13:27 #

    La loi dite de Brandolini ou le principe d’asymétrie des baratins est l’aphorisme selon lequel « la quantité d’énergie nécessaire pour réfuter des sottises […] est supérieure d’un ordre de grandeur à celle nécessaire pour les produire ». Ainsi, s’il est facile de créer une fausse information, sur le fond et la forme, en quelques minutes, il faudra probablement plusieurs heures pour démonter chaque point et montrer la fausseté de l’ensemble.

    • BUGNON-MORDANT 5 février 2023 at 14:58 #

      Curieux ce besoin que vous avez d’exciper d’une loi ou d’un principe, dont le nom ne dit rien à personne et dont on se fiche éperdument, pour tenter de justifier quelque chose que vous êtes incapable de démontrer. La meilleure chose à faire pour vous est de cesser d’écrire à propos de ce que vous ignorez. Il existe de salutaires occupations pour faire passer le temps : la pêche en rivière, les échecs, la méditation, passe-temps qui ont le mérite d’être silencieux.

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    Christian Lecerf 5 février 2023 at 18:39 #

    SVP, cantonnez-vous à votre chère complosphère…

    • BUGNON-MORDANT 5 février 2023 at 19:51 #

      L’accusation de complotisme : le degré zéro de l’analyse politique. Vous vous enfoncez, cher Monsieur. Je ne m’abaisserai plus à vous répondre.

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    Pierre Santschi 6 février 2023 at 09:38 #

    Le chat, la belette, et le petit lapin (La Fontaine):

    “Grippeminaud le bon apôtre
    Jetant des deux côtés la griffe en même temps,
    Mit les plaideurs d’accord en croquant l’un et l’autre.”

    Faudra-t-il un Grippeminaud pour arbitrer ce duel sans issue. Sera-ce le rédacteur en chef d’ “Infoméduse”? Ou une association de membres de la CIA et du FSB, ces deux organismes étant tous deux experts en vérités (avec s)?

    Et on peut aussi revenir à la phrase de Ponce Pilate: “Qu’est-ce que la vérité?” (Jean 18:38)

  5. Gérard Emile 8 février 2023 at 20:38 #

    Merci Monsieur Bugnon-Mordant pour l’exposé de ces vérités. En France nous avons le même genre de personnes à l’esprit embrumé par le politiquement correct et la bien-pensance de la Doxa qui ne peuvent pas comprendre un grand nombre de réalités pour une raison simple, elles abandonnent leur capacité à s’informer et penser à des médias subventionnés par cette Doxa. Un chien ne mord pas la main du maître qui le nourrit ! les médias diffusent la parole officielle en échange de financements publics qui leur permettent de survivre, ce dont ils seraient incapables par leur seul travail.
    Quant à la médaille de l’Amitié, je tiens à préciser à ce monsieur Lecerf que je serais très fier de la recevoir tenant la Russie pour une grande nation dont la culture et la civilisation sont largement à la hauteur de la culture et la civilisation de la France. Je l’invite à lire quelques vérités sur nos pseudo-amis !!! https://laplumeducitoyen.org/2022/12/14/lhistoire-un-enseignement-a-ne-pas-negliger-2/

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