PAR YANN LE HOUELLEUR, à Paris, texte et photos
Avant de reprendre l’avion pour Toronto, le lendemain matin, Rani est allée revoir l’Arc de Triomphe, non sans nostalgie. Au dessus de nos têtes, de gros bourdons griffaient les derniers nuages encore perceptibles. Ces hélicoptères semblaient annoncer une guerre, tout comme la présence massive de militaires en tenue de camouflage qui patrouillaient, en silence quant à eux. Par contre, il fallait avoir des nerfs d’acier pour supporter les hululements de si nombreuses voitures de police fonçant sur des cibles invisibles. Et Rani confiait qu’elle n’en pouvait déjà plus de cette atmosphère trop électrique. « Pourtant, j’en rêvais de ce séjour à Paris, mais j’ignorais que j’allais découvrir cette ville à l’heure où commençaient les Jeux olympiques .»
D’origine indienne, cette jeune femme avait limité à trois jours ses vacances dans la ville Lumière. «Quand je me suis rendue dans plusieurs musées que j’avais sélectionnés, j’ai trouvé la porte fermée. Je ne suis pas si riche que ça et j’essayerai quand même de revenir à Paris… »
Comme c’est triste de nouer de telles rencontres ! Les Jeux Olympiques n’ont pas fait que des heureux, à commencer par les touristes et par ceux qui vivent du tourisme : les hôteliers et les restaurateurs font grise mine, comme on peut s’en rendre compte en flânant dans les rues sinueuses du Quartier latin en grande partie épargné par le raz de marée haussmannien qui pendant la seconde moitié du 19ème siècle a doté Paris d’immeubles majestueux et tout aussi écrasants.
Le Procope, doyen des restos français
Le long d’un chemin semé de gros pavés, qui relie la rue Saint-André des Arts et le Boulevard Saint-Germain se succèdent des restaurants et des cafés que signalent des enseignes ovales cousues de lettres dorées, accompagnées de lanternes. En cette saison, les terrasses devraient afficher complet. Or, il y avait peu de monde en ce début de soirée, à commencer par la terrasse du Procope, le doyen des restos parisiens, qui fut à ses débuts fréquenté par les Encyclopédistes, dont Voltaire et Rousseau, puis les grandes figures de la Révolution, au nombre desquelles les sanguinaires Marat et Danton. Un garçon de salle profitait d’une pause pour fumer sa clope en plein air. Il était vraiment dépité : «Les Jeux olympiques n’ont pas encore eu d’incidence sur notre chiffre d’affaires. Nous constatons que les touristes ne sont pas au rendez-vous ; ils ont été dissuadé de visiter Paris après avoir entendu dire que notre ville allait devenir invivable et même dangereuse.»
La centaine de salariés du Procope pourraient se faire du mauvais sang si un investisseur n’avait pas acquis cette pépite pour redorer son blason, consentant à perdre de l’argent. Par contre, des restaurants indépendants peinent à équilibrer leurs comptes et certains estiment avoir perdu jusqu’à 30 % de leur clientèle. La faute à qui ? Ils imputent leur malheur à « l’organisation chaotique » des J.O. qui a fini par donner à Paris un air de forteresse assiégée.
45.000 policiers et gendarme

Devenue la cible d’organisations terroristes, La France est plus que jamais saisie d’une phobie des attentats. Le soir – 26 juillet – où la cérémonie d’ouverture des J.0. (appelés, en la circonstance, Paris 2024) a réuni 360.000 spectateurs sur les deux rives de la Seine, 45.000 policiers et gendarmes étaient mobilisés, armés jusqu’aux dents. Le plus grand show de tous les temps – rien que ça ! – constituait un pari très risqué. Des experts de la sécurité avaient tenté de convaincre les autorités de renoncer à une telle mégalomanie. Or, les Jeux se termineront le 11 août. Réputés grincheux, les habitants de la capitale râlent à cause du casse-tête logistique et numérique que leur ont infligés les autorités qui ont saucissonné Paris et quelques communes en banlieue. (A Saint-Denis, la préfecture du département de la Seine Saint-Denis, ont lieu plusieurs compétitions. Une gigantesque piscine ainsi que le Village des Médias ont été construits, au grand dam d’associations qui dénoncent des atteintes à l’environnement.)
« On bascule dans une société liberticide »

Quatre zones, chacune reconnaissable à sa couleur, ont été instaurées. La pire est la grise : elle comprend les sites où se déroulent les compétitions : on accède à ces périmètres sécurisés à l’aide d’un QR Code. Les personnes munies d’une autorisation validée par une plateforme numérique peuvent de surcroît être fouillées par des policiers.
C’est l’un des aspects les plus déroutants de ce méga événement : le recours à la VSA, la vidéosurveillance assistée qui fait la part belle à la reconnaissance faciale suscite d’autant plus de craintes que le gouvernement Macron a promulgué des lois décriées comme « liberticides » par ses opposants. Dans une vidéo disponible sur youtube, l’avocat Pierre Guyon avertit : «Le citoyen lambda doit comprendre qu’il est en train de se faire avoir parce que dorénavant, pour les grands événements, les rassemblements, vous serez obligés de présenter un pass numérique avec un justificatif destiné à prouver que le motif de votre demande n’est pas fallacieux . Et auparavant aura été réalisée une enquête administrative. »
En somme, suggèrent les spécialistes du droit public, les autorisations de circulation délivrées pendant les différents confinements, en 2020, constituaient un ballon d’essai : quatre ans après la pandémie de la Covid, les J.O. sont l’occasion « rêvée » de basculer, une fois pour toutes, dans une société liberticide.
Des kilomètres de grilles

Décidément, des records de toute sorte sont battus à l’occasion de Paris 2024 : 45.000 grilles mobiles ont été dressées dans plusieurs quartiers pour délimiter les zones précédemment mentionnées. C’est vraiment du plus mauvais goût et pour s’immiscer sur les terrasses des brasseries, il faut repérer une ouverture ou une faille dans ces murailles improvisées, ainsi qu’en témoigne une photo prise par nos soins le long de l’avenue Kléber.
Cette artère, qui prend sa source à partir de la place de l’Etoile, file vers la place du Trocadéro, l’un des endroits les plus fréquentés à l’occasion des J.O. Plusieurs compétitions ont lieu ici-même – athlétisme, cyclisme – et la Tour Eiffel, à l’ombre de laquelle fonctionne un stade dédié au volleyball de plage, jaillit en contrebas : ainsi le Trocadéro s’impose-t-il comme un lieu de passage obligatoire pendant les J.O.
Des véhicules de police, aussi brillants qu’un sou neuf, sont prêts à prendre le large, en cas d’incident majeur. Et nous allions oublier de mentionner un inconvénient supplémentaire dans la longue liste de changements compliquant la vie des Parisiens comme celle des touristes : à l’instar de dizaines de stations de métro, la station Trocadéro ou se croisent les lignes 6 et 9 est fermée au public. Voilà pourquoi Paris, tout à coup, s’est vidé de ses habitants et n’accueille presque plus de touristes. Dans les rues de la capitale, on ne rencontre plus guère que des jeunes gens, en jogging et baskets, et des policiers qui transpirent dans les uniformes devenus contraignants. Les personnes âgées et les enfants, le temps d’un été, ne sont décidément plus les bienvenus dans la ville Lumière.
La rime étant tentante et les faits avérés
Le rimeur n’a pas pu s’empêcher d’éclairer:
Le culte que l’on voue aux dieux de l’olympisme
Ne devrait susciter le moindre priapisme:
Le déni de n’y point voir l’aspect politique
Et le viol de l’esprit sportif par trop de fric
Révèle un « monument » bourré d’hypocrisie
Dont l’éthique est réduite à la paralysie.
Son agenouillement, grâce aux chefs des nations,
Devant l’absurdité qu’est la compétition
Ne sert qu’à boursoufler l’ego de dirigeants
Qui vont y parader en grillant notre argent…