Livres – Le bal des illusions


PAR MARTIN DE WAZIERS

Le déclin est un sport national français. L’Hexagone souffre de son déclassement, délitement de sa puissance dans le monde. C’est une réalité pour son rayonnement, sa diplomatie ou la conduite de ses opérations militaires, comme en témoigne le fiasco du contrat Australien sur les sous-marins ou la débâcle récente au Sahel. Hôte des JO d’été 2024, avec projecteurs du monde entier braqués sur lui, est-il condamné à perdre sa puissance et son aura?

Tel est un extrait de la présentation du livre, écrit par Richard Werly et François d’Alançon, journalistes Suisse et Français, publié le 27 mars 2024 chez Grasset. Ils ont enquêté, en donnant, en priorité, la parole à ceux qui l’observent depuis l’étranger. Leur regard démontre que le décalage entre les perceptions françaises et les réalités internationales n’a peut-être jamais été aussi grand. L’ouverture des JO n’était-elle pas en concordance avec le constat ?

Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain… Il y avait deux temps dans ce spectacle : le blasphème et la beauté. Le blasphème de la Reine, des aristos et, surtout, du Christ… puis la beauté de l’apothéose, on aurait pu éviter le wokisme du début pour respecter les valeurs de la France, fille aînée de l’Eglise, que l’on a vilipendée en vulgaire putain, avant de noyer le poisson avec l’extravagance d’un ‘finale’ très réussi. Le mal est fait, le monde l’a vu…

…sauf que certains pays ont censuré les parties les plus provocantes, à noter que les US en font partie, le comble pour le pays créateur du wokisme et de l’extrémisme du ‘politiquement correct’ ! Les deux journalistes nous livrent une revue splendide de leurs conversations, aux quatre coins du globe, avec des experts. Leur conclusion est que la stature de la France est enviée, sa parole attendue, à condition qu’elle ouvre les yeux sur elle-même et sur le monde.

Si on a du mal à rentrer dans les 240 pages, elles deviennent de plus en plus convaincantes, sur le syndrome d’imposteur du pays qui a tué son Roi un certain 21 janvier 1793 et mis un terme à près de 1300 ans de monarchie en France, depuis le règne de Clovis, fin du Ve s. La révolution finie, qu’a fait le pays si ce n’est de rêver de sa puissance passée, de sa gloire effacée et de son règne révolu ? Napoléon a bien tenté un rétablissement mais a échoué !

Cependant, le pays reste celui de l’amour romantique, du luxe global, de l’art de vivre, des artistes et lumières historiques, des rebonds incroyables derrière des leaders fascinants, comme le Général De Gaulle dont restera son emblème : un seul combat, pour une seule patrie. Liberté, égalité, fraternité, mais où êtes-vous donc ? La nation est fracturée et divisée plus que jamais, constate-t-on de l’extérieur, surtout après le résultat des législatives 2024 !

Mais tout va très bien, Madame la Marquise, pense le Français, fort de tant d’illusions mais aussi de son confort d’assisté : ne touche pas à mes avantages acquis, sinon, c’est la guerre civile, celle de Vendée, les Révolutions et, plus récemment, les petites gens ou gilets jaunes. Entretemps, les caisses de l’Etat sont vides, l’Afrique ne croit plus en elle, l’armée d’ampleur a cédé le pas au bricolage des communications présidentielles et des échecs sur le terrain !

Le Mal Français, essai politique et sociologique d’Alain Peyrefitte, publié fin 1976, donnait le ton : pourquoi ce peuple vif, généreux, doué, fournit-il si souvent le spectacle de sa division et de son impuissance ? Depuis les années 1980, la France passe de 4ème à 7ème puissance mondiale et est 26ème en richesse par habitant (réf. Banque Mondiale 2022), avec baisse de productivité, désindustrialisation en masse, et dépendance forcenée de l’Europe de 1992 !

Peu de tout, un peu partout, constate l’enquête : la France est « image » sans stratégie. Il lui reste son siège permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU. Il lui reste sa culture, mais plus, son sens géopolitique. Mauriac clamait : un fou a dit, moi la France, et personne n’a ri parce que c’était vrai. Vive la France, libre, dans l’honneur et dans l’indépendance, disait De Gaulle qui avait foi en son pays ! La France saura-t-elle tirer les leçons de ce livre et rebondir vite ?

©Martin de Waziers

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Un commentaire à “Livres – Le bal des illusions”

  1. Le Houelleur Yann 7 août 2024 at 12:35 #

    Effectivement, ce que l’on peut retenir de l’essai mené par deux grosses pointures du journalisme est que la France n’a plus les moyens de ses ambitions même si elle feint d’être encore influente. Cette série d’enquêtes, minutieusement tissées, baignent dans une certaine nostalgie dont se délectent les auteurs. Donc, un énorme décalage entre l’image qu’on peut se faire de l’Hexagone et une affligeante réalité. Plutôt que de se disperser dans des opérations de séduction multiples, la France ferait mieux de concentrer ses efforts sur un nombre limité de priorités. L’un des enseignements que l’on peut tirer de ce livre singulier : il faut renouer avec l’Etat stratège, un échec dont s’est rendu coupable un certain… Emmanuel Macron qui se perd dans un labyrinthe de promesses non tenues, y compris dans le champ international.
    Une lacune, que le talentueux Martin de Waziers a oublié de mentionner (et il est aussitôt pardonné !) : Richard Werli et son confrère François d’Alençon ont rencontré énormément d’interlocuteurs dont ils ont restitué les propos trop sommairement, la plupart du temps. On peut avoir l’impression qu’ils se sont fait plaisir avant tout. Aussi aurait-il été préférable d’agrémenter ces pages de photos, d’illustrations qui lui auraient conféré une dimension journalistique supplémentaire. Les livres ont encore un bel avenir devant eux mais je crois qu’il faut reconsidérer leur mise en page, leur conception graphique de manière à les rendre plus attrayants dans une société où l’image se taille désormais la part du lion, nous amenant à raisonner différemment.
    Y. /

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