PAR NADINE CRAUSAZ
En me promenant dans les rues de Paris, appareil photo en main, je n’aurais jamais imaginé vivre une expérience aussi troublante. C’était une soirée d’été, et je m’immergeais dans ma passion pour la photographie de rue, capturant les derniers éclats de soleil depuis un pont entre l’île de la Cité et Saint-Paul. C’est alors que mon regard fut attiré par un homme assis sur un banc. Sa casquette, son vélo adossé contre le banc, son attitude tranquille – tout en lui semblait créer une scène idéale pour la « street photographie ». Après avoir pris une photo, je m’approchai pour lui montrer le résultat. D’abord surpris, il me sourit, et une conversation s’engagea.
Cet homme, d’une quarantaine d’années, se révéla sympathique et ouvert. L’étrange coïncidence de notre rencontre nous mena à discuter de Vincent Van Gogh, sans raison apparente. En tant qu’admiratrice de l’artiste, je partageai mes connaissances sur sa vie, ses œuvres, et ses expositions. Pendant près de vingt minutes, notre échange sur Van Gogh, en évoquant avec émotion sa destinée unique et tragique, sembla créer une énergie presque tangible autour de nous.
Un autre individu s’approcha
Soudain, cet homme, qui se prénommait Fred, proposa de changer de banc pour profiter d’une meilleure vue sur le coucher de soleil. À peine étions-nous installés que la réalité sembla vaciller : un autre individu s’approcha, un chapeau de paille enfoncé sur la tête, tenant son vélo par le guidon pour le poser à côté de celui de Fred. Sans un mot, ni un regard, il s’assit à l’extrémité de notre banc. Ce qui suivit frôla le surréel : l’homme semblait être le sosie parfait de Van Gogh !!!
J’éclatai de rire en disant à Fred:
– Non, mais lui n’est pas peintre ! Et il a ses deux oreilles !!
Déballant pinceaux, toiles et tubes de peinture, l’inconnu se mit à peindre, sans un mot, plongé dans une concentration silencieuse. La coïncidence était si troublante qu’elle nous laissa sans voix !! Les traits, la posture, et la manière dont il peignait évoquaient avec une intensité troublante l’artiste néerlandais. Fred, perplexe, murmura une plaisanterie sur une caméra cachée, mais le mystère persistait.
Fred osa finalement engager la conversation avec l’homme au chapeau. Avec un accent californien, Brian Reed se présenta et expliqua qu’il rencontrait des difficultés à parler français à cause d’un problème neurologique. En posant sa main sur son oreille pour illustrer son propos, il nous ramena immédiatement vers la mutilation tragique de Van Gogh. Ce geste était comme le miroir troublant de la souffrance de l’artiste, intensifia l’atmosphère de mystère qui nous enveloppait.
Il peignait avec intensité
L’homme peignait avec une telle intensité que nous restâmes là, fascinés par la scène qui semblait se dérouler hors du temps. Les coïncidences, liées à notre discussion sur Van Gogh, nous donnaient l’impression d’assister à une apparition surnaturelle. Lorsque je lui adressai la parole, et en le regardant droit dans les yeux, une étrange sensation d’énergie me traversa. La présence du génie hollandais semblait en effet se matérialiser à travers ce personnage inattendu.
Alors que je réfléchis à cette rencontre étrange, une question obsède mon esprit: ce Californien Brian Reed qui pousse à l’extrême la ressemblance vestimentaire avec Van Gogh, qui peint comme lui et souffre aussi d’un trouble neurologique, est-il simplement un homme en quête de reconnaissance comme son mentor, ou est-il une émanation de l’artiste lui-même ?
Peut-être Van Gogh, le peintre qui ignorait encore qu’il deviendrait La légende, cherche-t-il à rattraper le temps perdu, les souffrances endurées, en se réincarnant dans notre époque moderne ?
Ainsi, à travers cette rencontre troublante, nous avons pu entrevoir, ne serait-ce qu’un instant, comme une éternelle quête de Van Gogh pour exprimer et transcender son génie à travers le temps.
Cette expérience, où réalité et mystère se mêlent, restera gravée dans ma mémoire. Les photos prises ce soir-là capturent non seulement la ressemblance frappante avec Van Gogh, mais aussi l’atmosphère surréaliste et poignante d’une rencontre où le passé et le présent semblent se superposer, nous offrant un instant unique d’éternité.