PAR SANTO CAPPON
Sur recommandation d’un ami commun, je suis invité dans un endroit idyllique, hors du temps et des circuits balisés, à Chens-sur-Léman. A proximité immédiate de la frontière suisse, au-delà d’Hermance. Un chalet ancien et son terrain, les pieds dans l’eau du Léman. Protégé par un ponton incurvé signalant un petit port privé, partie prenante de cette propriété. Sur la droite, une petite plage de sable fin.
Voici donc le lieu où Lénine a choisi de séjourner jadis, avant la révolution russe de 1917. Ce que me révèle la propriétaire du lieu, sans être en mesure de m’en dire davantage.
Pour moi la recherche commence. A noter qu’avant 1954, cette localité se nommait simplement « Chens ». Ce qui permet de mieux circonvenir les investigations.
Une simple villégiature?
Première question : une simple villégiature ? Ou pour y mener une vie de famille sans histoire ? Il est vrai qu’il s’est retrouvé là avec son épouse Nadejda Kroupskaïa, ainsi que sa mère. Assez rapidement, je découvre que la sérénité de ce lieu aura été pour lui, dans un premier temps, le cadre propice d’une réflexion ciblée. Afin d’y planifier ses activités politiques futures. Tout en restant en contact avec d’autres révolutionnaires. Car il existe des documents qui non seulement mentionnent son séjour à Chens, mais qui renferment précisément des correspondances avec d’autres révolutionnaires. Ces documents sont conservés dans des archives historiques consultables par les chercheurs. Certaines de ces notes et lettres ont été publiées dans des recueils de ses œuvres complètes.
Pendant son exil à Chens-sur-Léman, sa vie quotidienne était assez simple. Voici quelques aspects de sa routine :
Il passait une grande partie de ses journées à lire, écrire, et correspondre avec d’autre comploteurs. Sa femme l’aidait souvent dans ses travaux, notamment en mettant au net ses manuscrits et en gérant leur correspondance.
Période cruciale pour Lénine
Lénine aimait à se promener dans la campagne environnante. Ce qui lui permettait de réfléchir et de se ressourcer. Bien qu’il vivait alors dans un endroit splendidement isolé, il recevait parfois la visite d’autres révolutionnaires et intellectuels, avec qui il discutait de la situation politique en Russie, et des stratégies à adopter. Comme tout le monde, il devait s’occuper des tâches ménagères et des besoins quotidiens (bien que ces aspects de sa vie soient peu documentés).
Cette période a été cruciale pour Lénine, car elle lui a permis de mûrir ses idées et de préparer le terrain pour la révolution bolchevique.
Il est mentionné que la maison où il a vécu à Chens-sur-Léman « était une résidence modeste et tranquille, typique de la région. Qu’elle était entourée de la beauté naturelle de la campagne savoyarde, en prise directe avec le lac Léman ».
Mais il se trouve qu’il a aussi planifié et organisé à Chens, « le Congrès révolutionnaire russe de Chens », qui se déroula en août 1904 ! Il existe un dossier sur ce Congrès, consultable à l’Université de Californie, et numérisé le 27 décembre 2007. Accessible également sur les fonds D-7 des Archives Nationales françaises. Au total 27 rapports et pièces diverses. Un « rapport de sûreté » existe aussi. Qui donne la liste d’une trentaine de participants, parmi les 50 délégués venus à Chens depuis Genève, Paris, Londres, Berlin etc. Tous qualifiés à l’époque de « nihilistes ». Qu’ils appartiennent au parti S.R., au parti social-démocrate ou autre.
L’attentat de Saint-Petersbourg
Les noms les plus remarquables sont ceux de Vladimir Oulianov (Lénine), Elie Roubanovitch, Joseph Minor, Victor Tchernoff, Jean Dobrowski, Madame Azeff, Chichko, Boris Hermann chez qui se tenaient les réunions. La question est de savoir si ce Boris Hermann était le propriétaire de la maison au bord du lac (?). D’autres noms sont cités, mais il serait fastidieux de les reproduire ici.
Ces précisions ont été publiées en 1965 par Michel Lesure (p. 284), dans son rapport intitulé « Les mouvements révolutionnaires de 1882 à 1910 ».
Mais on note au passage que ces réunions à Chens furent subitement interrompues, « pour des raisons de sécurité », par la nouvelle d’un attentat à la bombe contre le ministre tsariste de l’Intérieur Plewhe, survenu le 28 juillet 1904 à Saint-Petersbourg. Cet attentat fut attribué au groupe Narodnaja Volja. On note aussi que le corps de la victime « ne formait plus qu’une bouillie sanglante ; la tête, les jambes et les bras ayant été arrachés du tronc ».