Tout à la fin de l’été, j’ai failli tomber gravement malade, une fois de plus, et sans l’aide que m’ont procurée plusieurs jeunes gens cela aurait pu très mal finir.
PAR YANN LE HOUELLEUR, à Paris et banlieue
(Cet article est amené à paraître dans la prochaine édition du journal numérique Franc-Parler qui doit éclore à la mi-octobre.)
Refus d’obtempérer, critiques iniques contre la police, excès d’assistanat, politisation des universités, trop grande tolérance à l’égard d’un certain «jihadisme d’atmosphère», etc. Il est toutefois à déplorer qu’à cause de quelques – ou de trop nombreux – voyous qui font les gros titres de l’actualité, la jeunesse a bien trop souvent mauvaise presse. Et pourtant, il m’est difficile de dire du mal des jeunes générations. En ce qui me concerne, moi le vieux ringard de soixante ans, j’aime les jeunes, passionnément; j’apprécie certaines des qualités qu’ils déploient, entre autres une certaine conception de la solidarité et de l’altruisme. J’aimerais avoir 20 ans en 2024 et me lancer dans de vrais combats.
Et pourtant, j’ai de la chance avec les jeunes. Dans le métro, ils me cèdent spontanément leur(s) place(s) assise(s). Jamais je n’aurais imaginé atteindre un âge et un physique dénotant une vieillesse galopante et tout aussi effrayante!
J’aspire à remercier un groupe de jeunes qui m’ont sans doute sauvé la vie le samedi 21 septembre.
Un joyau du patrimoine
Quelques jours plus tôt j’avais subi une fibroscopie qui a laissé des traces: brève hospitalisation, poussées de fièvre dès mon retour à la maison, quintes de toux redoublées, et une quantité indescriptible de glaires…
Ce samedi, donc, j’étais parti flâner du côté de la rue des Francs-Bourgeois afin de faire un dessin supplémentaire, en quête d’un joyau du patrimoine. Sitôt quelques crayons achetés au rayon Beaux-Arts d’un grand magasin, je me suis senti envahi par un obscur malaise, une sorte d’anxiété exacerbée par un gros coup de fatigue.
Et puis, en cette première journée du Patrimoine, une foule épaisse et fébrile s’éparpillait un peu partout. Alors, quelque chose au plus profond de moi, sans doute mon ange gardien qui n’a cessé de veiller sur moi, m’a incité à faire demi tour et à regagner au plus vite mon logement. Dans le métro, à cause de mon sac à dos et d’un énorme sac en bandoulière comprenant des planches à dessin et du matériel de travail, que de souffrances!
«On la connait, votre barre!»
C’est à la sortie de la station Gabriel Péri (un embranchement de la ligne 13 desservant plusieurs villes de la banlieue, en particulier Clichy, Asnières, Gennevilliers) que j’ai commencé à défaillir et à perdre carrément la tête. Je me suis assis à terre, et je pense que pendant quelques minutes une sorte d’évanouissement s’est produit. J’avais l’impression d’être en mille morceaux, un puzzle dont il semblait manquer des pièces.
A moitié inconscient, j’ai entendu des jeunes gens parler autour de moi. J’étais dans un tel état d’épuisement que je n’arrive pas à me souvenir du nombre précis de ces jeunes. Ils étaient trois ou quatre selon mes si vagues souvenirs, dont deux filles. «Monsieur, voulez-vous qu’on appelle les pompiers? Vous n’êtes pas en état de rentrer chez vous!» Je leur ai expliqué que je résidais tout près… la barre Victor Hugo. «On la connait, cette barre, Monsieur». J’ai cherché à me relever: ces jeunes gens m’en ont empêché. Aucune mauvaise intention de leur part. «On va vous raccompagner chez vous.»
Six bactéries très agressives
Et croyez-moi bien, chers Lecteurs ! Ils ont pris soin de moi, ils m’ont même aidé à transporter mon trop encombrant (et si lourd) sac en bandoulière. La fièvre continuait à semer la brouille et même la tempête dans ma tête. Effectivement, ces jeunes inconnus m’ont guidé jusqu’à «mon» bâtiment et je me souviens leur avoir conté en chemin un peu de ma vie. Je leur ai certainement avoué avoir frôlé la mort au tout début de l’année lorsque six bactéries sont passées à l’offensive. Il s’en est suivi une détresse respiratoire et plusieurs semaines dans le service réanimation d’un grand hôpital parisien ainsi qu’une opération à la gorge.
A court de cartes de visite (une énorme frustration) je n’ai pas eu le temps, ou peut-être même la force, d’écrire un numéro de téléphone sur un bout de papier, tant j’étais pressé de prendre l’ascenseur sitôt parvenu dans mon hall.
J’aimerais les revoir, ces jeunes. Mieux connaître leur vie, leurs aspirations, leurs idéaux… Les remercier en leur offrant un dessin.
Cet article est comme une bouteille confiée aux hasards de la mer. Et si elle était happée par l’un de ces jeunes gens ? Ou par quelqu’un les connaissant? Ce serait formidable. En tout cas, un grand merci à eux. Je leur dois la vie.
Dessinateur de rue, un métier enchanteur et pourtant précaire
Pour illustrer ce rude article, quoi de mieux que cette souriante photo prise lors de l’été 2024, dans un quartier ancien et pittoresque de Paris. Comme le savent déjà nombre de lecteurs de Franc-Parler, je dessine sur le vif dans les rues de Paris, une ville dont l’éclectisme architectural m’interpelle et me fascine. C’est hélas un gagne-pain très ingrat, même si mes couleurs sèment de la joie dans les rues de la capitale. Ne croyez pas que les gens se jettent sur mes dessins. Au compte-goutte, je les cède à des touristes mais également des riverains. Le public n’a pas conscience, généralement, des investissements consentis pour me procurer un matériel de travail de la meilleure qualité. Les Jeux Olympiques puis les jeux paralympiques, il est vrai, ont marqué une baisse soudaine de mes ventes, comme ce fut le cas pour de nombreux professionnels, à commencer par les garçons de café qui ont souffert d’une chute de la clientèle. Pendant plusieurs semaines, de nombreuses terrasses sont restée à moitié vides. Pardon pour cette comparaison abusive mais pendant l’été 2024 j’ai eu l’impression de revivre un « remake » de la période post-Covid : l’été 2001, quand je passais des semaines dans des rues de Paris à crayonner sans pour autant vendre un seul croquis.
Une création spontanée inspirée par les rues de Paris, qui s’insinue entre les pavés comme un défi urbain, mais aussi un appel à l’urbanité !