Livre – En Ukraine, les protagonistes de la guerre ont mis le doigt dans l’engrenage, accélérant la reconfiguration du monde

Ancien député et ancien ministre, le Français Pierre Lellouche analyse l’effroyable conflit en Ukraine dont il estime qu’il a accéléré la reconfiguration du monde avec la montée en force des pays opposés à un Occident devenu trop mou.

PAR YANN LE HOUELLEUR, à Paris

«Donald Trump a horreur des guerres», ont fait valoir des chroniqueurs invités par Darius Rochebin, devenu depuis quelques années l’un des présentateurs vedettes de LCI, la chaîne d’info en continu de TF1. Pour autant, c’est lui, Trump,  qui a déclenché le fatidique retrait des troupes américaines postées en Afghanistan. Un marqueur dans l’inexorable perte d’influence des Etats-Unis avec des scènes déchirantes… des hordes de civils s’accrochant aux ailes des avions américains s’apprêtant à décoller. 
Alors, est-ce le «nouveau» président américain qui va prendre l’initiative d’une médiation dans le cadre de négociations entre la Russie et l’Ukraine, ainsi que l’espèrent nombre de nos contemporains? Il semblerait que Trump et son homologue ukrainien Volodymyr Zelenskyy  ne s’apprécient guère, pour la raison suivante : le second n’aurait pas fourni au premier certaines données qu’il avait sollicitées au sujet d’allégations de fraude et de corruption commises par Hunter Biden, le fils du président sortant  Joe Biden. 

Le retour au pouvoir du candidat républicain devrait plutôt inciter Pierre Lellouche (une suggestion toute personnelle) à publier une édition actualisée d’un essai audacieux intitulé «La guerre d’Ukraine et le basculement du monde». Député gaulliste à deux reprises, secrétaire d’Etat aux Affaires européennes puis au commerce extérieur, Pierre Lellouche a effectué de nombreux séjour en Ukraine.

Manifestants pro-Ukrainiens à Paris, 2022. Photo YLH

«Engrenages» (Odile Jacob) est paru quelques semaines avant la réélection de Trump. Mais quels que puissent être les métamorphoses ou revirements de l’administration Trump en Europe de l’Est, il est probable que le basculement décrypté par Lellouche poursuivra sa trajectoire. Car la guerre en Ukraine marque une rupture irrémédiable dans la configuration de la planète orchestrée par Vlamidir Poutine qui se décrivant comme déçu, dépité même par la mollesse et de l’Occident et son culte de la « cancel culture » a fait ses adieux à l’Europe. Pierre Lellouche relève cette réflexion formulée par l’un des conseillers de Poutine: «Nous nous apprêtons à rejoindre le vaste monde. La Russie compte bien devenir une puissance asiatique, ce qu’elle est depuis les origines. Après le grand bond vers l’Europe annoncé par Pierre le Grand, nous revenons chez nous.»

Ukraine/Russie : près d’un demi million de morts

Pierre Lellouche émet l’idée que les Occidentaux n’ont guère pris la mesure de l’humiliation éprouvée par les Russes après la «perte de leur empire » (communiste) et qu’ils auraient préférés « être considérés comme des partenaires plutôt que de faire l’objet d’indifférence et de condescendance». Toujours est-il, empressons-nous de le dire, trois ans de guerre sur le continent européen ont causé une hécatombe : au moins 200.000 morts et 300.000 blessés dans chacun des deux camps. « Ces sacrifices humains rappellent les 800.000 morts au cours des huit années du conflit irano-irakien ».

Il faut bien avouer que la lecture d’Engrenages est quelque peu déroutante car son auteur déroule le fil de plusieurs analyses simultanées qui finissent par constituer une pelote inextricable. Mais si on a le courage d’en lire les 360 pages de but en blanc, on perçoit que Lellouche veut nous convaincre de l’offensive de la Russie contre l’Ukraine comme un prétexte pour prendre le leadership d’un bloc, celui de pays décidés à en découdre, tous ensemble, contre l’Occident. Poutine a scellé une alliance avec la Chine, l’Inde mais aussi des pays réputés toxiques tels que l’Iran et la Corée du Nord, concluant des accords tous azimuts avec eux.

Place de la République, Paris 2022. Photo YLH

ONU: une session tourne  à la confrontation

Pire encore : tout récemment, 11.000 soldats nord-coréens seraient venus prêter main forte aux combattants russes, tandis que la Corée du Sud a fourni, de même, hommes et matériels. La Russie peut s’enorgueillir d’avoir semé le trouble jusqu’au sein des Nations-Unies. Le 23 février 2023 a été adoptée une résolution exigeant qu’elle «retire immédiatement toutes ses forces militaires du territoire ukrainien (…)». Bien entendu, la Russie s’est prononcée contre, appuyée par quelques pays dont la Corée du Nord. Or, trente-deux Etats se sont abstenus. Leur part dans le PIB mondial est impressionnante : ils constituent un tiers du PIB planétaire et ils hébergent 4 milliards de personnes, soit la moitié de la population mondiale. Au nombre de ces abstentionnistes : la Chine et l’Inde.

Dans une interview concédée à la chaîne CNews, Pierre Lellouche a insisté sur ce point capital soulevé dans son livre : «Ces pays n’ont pas forcément des intérêts (politiques) convergents. Mais ils sont déterminés à en finir avec certaines des valeurs en vigueur dans les pays occidentaux et avec la suprématie du dollar utilisé pour leur imposer des sanctions économiques.»

Enfin, Pierre Lellouche attire  notre attention  – et ce n’est pas le moindre de ses mérites –  sur le fait que la Russie, l’Iran et la Corée du Nord se sont trouvés impliqués dans un tout autre conflit, cette fois-ci au Proche-Orient. Dans la dernière partie de son essai, l’essayiste « ose » ce parallèle : « Depuis le 7 octobre (2023), nous vivons donc la collision de deux guerres : Est-Ouest et Sud-Nord. Deux guerres  qui s’entrecroisent, qui s’imbriquent l’une dans l’autre. (…) «Téhéran est devenu un partenaire militaire indispensable pour Moscou  (…) au seuil de l’arme nucléaire et qui participe à des manœuvres navales communes dans le Golfe avec les marines russe et chinoise.»

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