L’assèchement de la mer d’Aral risque de n’être finalement pas grand chose à côté de la disparition des 20 000 glaciers d’Asie centrale avant la fin du siècle. Or, cette région vaste comme l’Europe, loin des océans, connaît chaque année plusieurs mois sans précipitations. Comment, sans châteaux d’eau, s’alimenteront les fleuves ?
Par PAR IAN HAMEL, de retour du Kirghizistan et d’Ouzbékistan
L’Ouzbékistan a sacrifié la mer d’Aral à l’irrigation afin de développer intensivement la culture du coton. Cette mer s’étendait autrefois sur 68 000 km2, soit une fois et demie la Suisse. Elle était le réceptacle naturel des deux fleuves, l’Amou-Daria et le Syr-Daria, qui irriguent un vaste bassin couvrant les cinq pays d’Asie centrale, le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, le Turkménistan, le Kirghizistan et le Tadjikistan. De cette mer intérieure, il ne subsiste guère aujourd’hui que 8 000 km2, la superficie de la Suisse romande. Des centaines de reportages, depuis les années 60, racontent dans le détail cette catastrophe écologique.
Mais on oublie que ce désastre n’a pas seulement ruiné les pêcheurs qui vivaient autour de la mer d’Aral, mais bien toute la région du Karakalpakstan, une république autonome appartenant à l’Ouzbékistan. Les pesticides charriés par l’Amou-Daria et le Syr-Daria se sont déposés au fond du bassin de l’Aral. Avec le sel laissé par les eaux, ils se sont retrouvés à l’air libre. En raison des vents violents, ils ont stérilisé la terre sur des centaines de kilomètres… Et ce n’est pas fini : les deux fleuves eux-mêmes sont en danger de mort avec la fonte des glaciers d’Asie centrale, en raison de réchauffement climatique.

La COP29 va-t-elle seulement en parler ?
Un reportage de l’Agence France Presse (AFP), publié en septembre dernier, écrit qu’entre « 14 et 30 % des glaciers du Tian-Shan et du Pamir, les deux principaux massifs montagneux centrasiatiques, ont fondu ces 60 dernières années », selon la Banque eurasiatique de développement. 2024 sera vraisemblablement l’année la plus chaude jamais enregistrée. La superficie des glaciers devrait diminuer de moitié d’ici 2050. Elle disparaîtra complètement avant la fin du siècle. La conférence sur le climat, la COP29, qui se tient actuellement en Azerbaïdjan, gros producteur de pétrole et de gaz, va-t-elle seulement se pencher sur la question ?
Certes, les Nations Unies ont déclaré 2025 « année de la préservation des glaciers ». Mais concrètement, quels moyens va-t-on débloquer pour venir à la rescousse du Kirghizistan et du Tadjikistan, les deux plus pauvres ex-républiques soviétiques ? Ces contrées comptent chacune environ 10 000 glaciers. Or, quand un glacier fond, des lacs glacières se créent. L’eau s’y accumule et les lacs peuvent exploser, emportant des milliers de tonnes de rochers dans les vallées. Quant aux trois autres pays d’Asie centrale, le Kazakhstan, l’Ouzbékistan et le Turkménistan, ils sont riches en hydrocarbures mais désertiques, et très dépendant en eau des deux autres pays, le Kirghizistan et le Tadjikistan, dont les sommets dépassent 7 000 mètres d’altitude.
Un Courchevel Kirghize
Ces montagnes ne sont pas non plus à l’abri des chercheurs d’or blanc. L’entreprise française, la Société des Trois-Vallées (S3V), exploitante du domaine skiable de Courchevel, entend construire trois stations au Kirghizistan, au sud du lac Issyk Koul, près de la ville de Karakol, avec la bénédiction du président Sadyr Japarov, venu skier dans les Alpes tricolores. 200 kilomètres de pistes, une trentaine de remontées mécaniques (l’équivalent de la station de Zermatt). Et d’ici 2035, 7 000 chambres d’hôtels, 850 000 touristes par an, venus notamment de Russie, de Chine, d’Inde. Sans oublier des appartements, des restaurants, des commerces, un centre thermal pour ce futur « Courchevel kirghize » (*). Vous avez dit inconscience ou folie pure ?
(*) « Courchevel kirghize. Une entreprise française conçoit un immense domaine skiable en Asie centrale », Jérôme Bruno, BFMTV, 1er août 2024.