Tribune libre – Rendre les multinationales responsables en Suisse aussi, pas une révolution mais un premier pas

Un peu plus de quatre ans après qu’une première initiative pour rendre les multinationales établies en Suisse responsables de leurs actes ait été repoussée par la majorité des cantons alors qu’elle avait obtenu la majorité des votes du peuple, la coalition pour des multinationales responsables relance une initiative. Les initiants se donnent trente jours plutôt que les 18 mois possibles pour obtenir les 100’000 signatures nécessaires à l’aboutissement de leur texte. Qu’on soutient, évidemment, et qu’on peut d’ores et déjà obtenir, signer et renvoyer.

Depuis six mois, une directive européenne sur la responsabilité des multinationales est entrée en vigueur et s’applique à tous les pays membres de l’UE: elle oblige les multinationales établies dans l’Union à respecter les droits humains et les normes environnementales dans leurs activités et à réduire leurs émissions nocives au climat. En outre, des lois nationales sur la responsabilité des multinationales sont en vigueur ou des procédures judiciaires en cours en France, Grande-Bretagne, Italie, Allemagne, Pays-Bas et Norvège.

Cavalier seul et concurrence déloyale

Il y a cinq ans, la Suisse se prononçait sur une initiative populaire allant dans le même sens que les lois nationales ou la directive que ses voisins ont désormais adoptées. Le peuple avait accepté l’initiative, mais une majorité des cantons l’avaient refusée, ce qui a laissé place nette à un contre-projet se contentant de demander aux multinationales de rendre un rapport. L’un des arguments avancés par les multinationales, le Conseil fédéral et les partis de droite pour refuser l’initiative était que la Suisse ne pouvait faire «cavalier seul» en adoptant des normes que ses voisins n’avaient pas adoptées. Or c’est la Suisse qui fait désormais «cavalier seul» en n’adoptant pas les mêmes normes que tous ses voisins, ce qui en fait une concurrente déloyale.

La nouvelle initiative s’inspire largement de la directive européenne mais n’en reprend cependant pas des dispositions importantes: si les entreprises à qui elle s’applique (celles qui emploient plus de 1000 personnes et ayant un chiffre d’affaires de plus de 450 millions de francs) auront un «devoir de diligence», devront prendre des mesures pour éviter toute violation des droits humains et se doter d’objectifs de réduction des émissions de CO2, elles ne seront pas, contrairement à ce que prévoit la directive européenne, tenues responsables des actes de leurs fournisseurs et sous-traitants. En outre, les entreprises employant moins de 250 collaborateurs seront exemptées de toute obligation -or les négociants en matière première, qui font d’énormes profits, les font souvent en employant relativement peu de personnel.

Fardeau de la preuve

Enfin, le «fardeau de la preuve» incombe désormais aux accusateurs des multinationales, et non plus aux multinationales pour preuve de leur innocence… La deuxième initiative populaire sur le sujet n’est pas révolutionnaire, observe «Le Courrier», qui y voit cependant un premier pas vers l’acceptation par la Suisse de ses responsabilités et l’acceptation de la responsabilité de leurs actes par les multinationales. Le discours libéral ne se construit-il pas entre autres sur l’exigence de «responsabilité»? N’y aurait-il que les pauvres et les chômeurs, les malades et les sans domicile fixe qui pourraient être tenus pour «responsables» de leur pauvreté, de leur chômage, de leur maladie ou d’être à la rue ?

Pascal Holenweg, Genève

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Un commentaire à “Tribune libre – Rendre les multinationales responsables en Suisse aussi, pas une révolution mais un premier pas”

  1. Dominique OLGIATI 13 janvier 2025 at 10:37 #

    Bonjour,
    à 85 ans et 1/2, je me trouvais frigorifiée avec 3 autres personnes devant la Coop de Satigny pour récolter des signatures.
    L’organisatrice n’avait donné aucun autre nom pour assurer une relève. Qui signait? les vieux… qui ne verront pas le résultat de leurs efforts. Quant aux récalcitrants, soit ils sont actifs, soit ils travaillent dans les multinationales « nécessaires « , soit ils sont lassés des initiatives ayant abouti mais qui ne sont pas appliquées ou re-modifiées après et non tenues.
    Où a été enterrée la responsabilité civile ?
    merci pour votre avis.

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