Jacques Fasel, le Robin des Bolzes (1/2) – Du passé de braqueur à la rencontre avec les ZADistes

Le Broyard Jacques Fasel (photo Nadine Crausaz), figure centrale de la « bande à Fasel » des années 1970, reste aujourd’hui un interlocuteur pour les jeunes militants. À 72 ans, cet ancien braqueur et militant anarchiste reste fidèle aux idéaux qui ont marqué sa jeunesse, bien que son parcours ait considérablement évolué au fil des ans. 

PAR NADINE CRAUSAZ

Mais comment un homme en arrive-t-il à se marginaliser, au point de sombrer dans la grande criminalité? Dans le cas de Jacques Fasel, alias le Robin des Bolzes, un séjour en prison en 1977 pour objection de conscience et trois refus de se soumettre à ses obligations militaires ont joué un rôle déterminant dans son cheminement. La répression de ses idées, alors qu’il ne voulait que s’opposer pacifiquement à l’ordre établi, l’a propulsé dans une spirale de résistance violente.

Dans les années 78-79, aux côtés de son complice Daniel Bloch et d’autres membres de sa bande, Fasel a défrayé la chronique en Suisse romande. Fribourg et Neuchâtel ont été le théâtre d’attaques à main armée spectaculaires contre des banques et des bureaux de poste, pour un butin dépassant les 2 millions de francs. Cette aventure révolutionnaire, motivée par un rejet du système capitaliste, a valu à Fasel une condamnation à 13 ans et demi de prison, entrecoupée de trois évasions spectaculaires.

L’idéalisme révolutionnaire face à la violence

Lorsqu’il repense à ces années, Fasel exprime une complexité de sentiments :  « Je suis contre la violence, mais parfois la société est tellement violente qu’il faut répondre par la violence », confie-t-il. Si ces paroles peuvent sembler paradoxales, elles résument bien l’état d’esprit qui animait lui et ses compagnons. Ces têtes brûlées, comme il les appelle, étaient avant tout des idéaux anarchistes, des révolutionnaires convaincus. 

Leur objectif n’était pas de s’enrichir ou de se divertir avec l’argent des braquages, mais de soutenir des formes de vie alternatives, la « contre-information » et la « contre-éducation ». Les braquages, en réalité, n’étaient qu’un moyen pour soutenir ces projets, sans jamais chercher à échapper à la justice. Pourtant, les années passées en prison ont fait comprendre à Fasel que la violence n’était qu’une réponse partielle et qu’une révolution réelle exigeait une transformation plus profonde et pacifique du système.

« Les braquages m’ont mené à la privation de liberté », dit-il aujourd’hui, avec un regard apaisé. « Mais que reste-t-il de mes combats et de mes revendications 40 ans plus tard ? »

Le parcours après la prison : trouver sa place dans la société

Libéré en semi-liberté en 1991, Jacques Fasel a eu la chance de se réinsérer dans la société, mais il a choisi de le faire à sa manière, en restant fidèle aux valeurs du monde alternatif qu’il avait toujours défendu. Plutôt que de se plier aux exigences du système libéral et capitaliste, il a su trouver sa place dans des cercles anarchistes et alternatifs. Il a exercé divers métiers, souvent en dehors des circuits traditionnels : cuisinier à l’Espace Noir de St-Imier, gérant d’un squat autogéré à La Chaux-de-Fonds, et enfin, tenancier de la petite auberge La Halte du Châtelot, au bord du Doubs, où il a vécu pendant 16 ans. C’est là qu’il rencontre sa compagne, Angeles avec qui il partage désormais sa vie dans le canton de Genève. Originaire de la Broye fribourgeoise, il y retrouve volontiers ses cousins pour refaire le monde, autour d’un bon verre,  sur les rives d’Estavayer-leLac…

En 2019, après une longue période de silence, il revient sur le devant de la scène pour la promotion de son livre Droit de révolte, écrit en 1987 alors qu’il était encore en prison. Ce livre réédité aux éditions d’En Bas est un témoignage de son parcours et de sa pensée, mais aussi une réflexion sur le monde actuel.

 Au fil des pages, il affiche un optimisme teinté de lucidité :

La lutte sociale n’est pas une obsession, mais je la trouve toujours pertinente, surtout quand je vois les jeunes qui, aujourd’hui, se battent pour un monde meilleur, loin des logiques capitalistes.

Des conseils aux jeunes militants

Fasel continue de soutenir des amis et des projets alternatifs à travers la Suisse romande. Il partage ses idées et son expérience dans les espaces autogérés et les collectifs.

Il est essentiel de transmettre nos expériences, de faire comprendre aux jeunes que la révolte ne doit pas nécessairement passer par la violence, dit-il. 

Quand j’étais jeune, mon mot d’ordre était : détruisons ce qui nous détruit ! À l’époque, dans un contexte de guérilla urbaine et de répression systématique, la violence semblait une réponse juste. Aujourd’hui, je ne la recommande plus. Les temps ont changé, la répression est devenue plus forte et plus systématique. Le seul moyen de changer le système, c’est de lutter pacifiquement, collectivement, et de façon autogérée.

Il encourage la jeunesse à organiser des formes de résistance moins violentes mais tout aussi efficaces.

Il existe aujourd’hui des structures autogérées dans le monde entier. Si nous voulons sauver le climat, il faut changer le système économique. Pour avoir un climat meilleur, il faut lutter contre les causes de sa dégradation, à savoir le capitalisme, et rendre le système vivable pour les générations futures.

« Autour du feu » : un film intergénérationnel sur la résistance

Cette vision de la résistance non-violente est aussi au cœur du film Autour du feu, réalisé par les Genevoises Laura Cazador et Amanda Cortés. Ce documentaire, qui a remporté le Prix Visioni au festival de Soleure en janvier 2024, suit les échanges entre des activistes d’hier, comme Jacques Fasel et son compère Daniel Bloch et des jeunes militants contemporains, comme ceux de la ZAD vaudoise, installée sur la colline du Mormont. Le film les réunit autour d’un feu de camp, symbolisant un lieu de dialogue intergénérationnel sur les formes de lutte contre un système économique et social oppressif.

À travers une approche simple mais poignante, le documentaire interroge l’évolution de la résistance, de la répression et des méthodes de lutte à travers les décennies. Il montre comment, malgré les différences de méthodes et de contextes, l’esprit de révolte reste vif chez ceux qui refusent l’injustice, qu’ils soient issus de la guérilla urbaine des années 70 ou des actions pacifiques des ZADistes d’aujourd’hui.

Evolution d’une pensée

Jacques Fasel incarne l’évolution d’un homme qui, après avoir vécu des années de lutte engagée, a su transformer sa vision et son action. Il ne rejette pas son passé, mais il prône une forme de résistance différente, plus pacifique, plus collective, mais toujours radicale dans son opposition au système capitaliste.  Il reste un témoin essentiel pour ceux qui, aujourd’hui encore, croient que la lutte contre un système injuste doit s’inscrire dans une démarche de solidarité, de révolte constructive et de transformation profonde de la société.

Prochain article: Jacques Fasel sur les pas d’Emiliano Zapata

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