PAR CAMILLE FOETISCH, à Auroville, texte et photos
« Same, same, but different » ou, autrement dit, la même chose, mais différente. Tout est pareil, mais différent aussi. Jolie formule, antinomique et tellement indienne!
Auroville, cette communauté internationale fondée en 1968 à un jet de pierre de Pondichery, c’est comme ça. Tout change, mais tout reste. Comme le village. Comme l’Inde finalement aussi. Les tas d’ordures, les vaches errantes au milieu des routes, au cœur de la mégalopole de New Delhi comme dans les villages, les aboiements nocturnes de milliers de chiens errants, les pollutions, les sanitaires déglingués, les robinets encrassés de calcaire qui pissotent dans tous les sens, les routes de terre défoncées et trouées, les écheveaux de câbles électriques au sommet de poteaux qui manquent de s’effondrer, les effluves d’encens, les lampes à huile devant les portes, au crépuscule, pour protéger les maisons des ondes malignes, les essaims d’enfants déguenillés et pieds nus jouant au foot dans la poussière rouge ou dans les impasses sales et malodorantes des grandes villes. Il y a 40 ans, tout cela existait déjà, probablement depuis beaucoup plus longtemps. Aujourd’hui, on a ajouté les téléphones portables. Ah oui, et des autoroutes larges, partout et qu’empruntent tous les véhicules imaginables, du char à bœufs au bus high tec, au volant desquels se trouvent – souvent – des conducteurs sans permis ou qui l’ont obtenu d’un clic et qui de toute façon ne respectent aucune règle !
Nouvelle secrétaire de la fondation
Auroville, communauté internationale imaginée et créée en 1968 sur un plateau aride du sud de l’Inde, à quelques km de Pondichery par Mirra Alfassa, une française d’origine orientale, disciple du philosophe, penseur, et activiste indien Sri Aurobindo. Bénéficiant d’un statut de fondation, accordé par le gouvernement indien en 1988 à la suite de conflits plus ou moins internes, Auroville traverse aujourd’hui une crise majeure, qui a débuté dès l’été 2021, suite à la nomination par le gouvernement central d’une nouvelle secrétaire de la fondation.
Une aventure sociale, utopique
Déboussolés, les résidents d’Auroville, (une peu plus de 3000) arrivés pour les plus âgés, dans la foulée libertaire des années 70 pour vivre une aventure sociale, humaine, expérimentale, utopique. C’était dans l’air du temps ! Ils ont investi leur jeunesse, leurs forces et tout ce qu’ils possédaient, ont créé des écoles, passé de la cabane au toit de chaume à la maison en dur, troqué le vélo pour la moto, passé du raghi (céréale locale très nourrissante) au riz blanc arrosé de sambar brûlant, etc. 2021 allait marquer une rupture quasi-totale : le gouvernement indien a fait main basse sur les structures, infrastructure, sur la gestion financière de la communauté et en a changé les règles, interprétant la Charte d’Auroville – avec la fameuse phrase initale « Auroville n’appartient à personne en particulier… » à sa guise. La corruption, autrefois plutôt « légère » à Auroville, a pris une dimension quasi nationale, les mafias en tous genres profitent dès lors sans se gêner de la faiblesse des structures de gouvernance. Et à Auroville, qui se targuait d’une économie basée sur le don, l’échange, la solidarité, aujourd’hui l’argent, le profit est devenu le maître mot.
Ces images de liberté
Alors on se tourne vers le passé, vers la nostalgie, face à un avenir incertain et un présent difficile. On se console de ces images de liberté, de joyeux moments, d’enfants occidentaux batifolant à moitié nus, des plages encore intactes (rongées aujourd’hui par l’érosion). Nadia Loury, ex-Aurovilienne française qui a séjourné à Auroville dans les années 80, publie un livre d’images, ses images à elle, qui illustrent bien une époque, difficile mais heureuse et surtout révolue.