Le 13 juin 2025, le Conseil fédéral ouvrait la procédure de consultation sur les Bilatérales III. Moins d’un mois plus tard, le 11 juillet, EconomieSuisse et l’Union patronale suisse tenaient leur conférence de presse conjointe pour annoncer leur soutien résolu à une adoption définitive de ce paquet d’accords (1’800 pages) conclu entre le Conseil fédéral et l’Union européenne. Selon les faîtières de l’économie «les avantages (de ces accords) prédominent sur (leurs) inconvénients», car oui, il y en a, et pas des moindres.
Un tel empressement à répondre à une consultation dont le délai d’expiration est fixé au 31 octobre 2025 paraît surprenant, mais il s’explique. Plus qu’en d’autres circonstances, la bourgeoisie aborde ce nouveau paquet d’accords avec l’UE divisée. Les représentants de l’industrie financière et du grand patronat le savent. Raison pour laquelle ils se sont empressés d’adresser un signal clair en guise de consigne aux partis (PLR, Centre (ex-PDC) et, bien sûr, PS) et à leurs élus au Parlement. La campagne est lancée, elle s’annonce rude et incertaine.
Que fera, que dira, que décidera l’USS ?
La réponse à cette question, déterminante pour les travailleurs et l’issue de la campagne, n’est pas encore connue. D’abord vent debout contre l’Accord-cadre institutionnel avec l’UE à la négociation duquel le Conseil fédéral a unilatéralement mis un terme en mai 2021, puis opposé à plusieurs clauses contenues dans les nouveaux accords dits des Bilatérales III en lien, notamment, avec le « marché du travail » et l’ouverture totale du marché de l’électricité, Pierre-Yves Maillard, à la tête de l’USS, semble faire volte-face.
Voilà ce qu’en dit la presse (« 24 heures ») le 22 mars 2025 :
Le président de l’Union syndicale suisse (USS) change de ton. Longtemps opposé à la signature de nouveaux accords bilatéraux avec l’Union européenne (UE), Pierre-Yves Maillard salue aujourd’hui la manière dont syndicats et employeurs entendent assurer la protection des salaires dans le pays.
Et ce, bien sûr, en cas d’acceptation par le parlement du dernier paquet de mesures négocié entre la Suisse et Bruxelles.
«Nous avons fait un grand pas dans la bonne direction, répond l’ancien conseiller d’État vaudois au «Tages-Anzeiger». Nous avons obtenu plus en quelques semaines que pendant les trois ou quatre années précédentes.»
Pour rappel, le Conseil fédéral avait mis ces négociations entre parenthèses en 2021 face à l’intransigeance de Bruxelles sur des points clés (aide sociale, libre circulation des travailleurs, protection des salaires).
En décembre dernier toutefois, les négociateurs suisses et européens ont réussi à se mettre d’accord sur un nouveau paquet d’accords. Mais les syndicats et l’UDC s’y opposaient, et ce, pour des raisons différentes. L’UDC parle de traité colonial. Pour les syndicats, le principal écueil restait la protection des salaires suisses, élevés.
Contenu institutionnel délétère
L’USS semble aujourd’hui rassurée. «Le résultat des négociations entre les partenaires sociaux sur les mesures de protection salariale est de nature à contrebalancer les reculs qu’implique l’accord avec l’UE», souligne Pierre-Yves Maillard dans le quotidien alémanique.
Pour les travailleurs, pour la défense des salaires, pour la défense des conquêtes démocratiques, la défense des services publics, la souveraineté et l’autodétermination, ce retournement de veste annoncé du président de l’USS est inquiétant. Pas sûr en effet, pour le cas où les Bilatérales III devaient être adoptées, que les “concessions” accordées suffisent à contrebalancer d’importants reculs en matière de protection des travailleurs et de services publics.
Seule certitude, et malgré des aménagements de pure forme, voire de vocabulaire, ces “nouveaux” accords conclus entre le Conseil fédéral et la Commission européenne, conservent un contenu institutionnel particulièrement délétère pour l’exercice de la démocratie directe telle qu’en Suisse, nous la pratiquons. Or, bien qu’il soit regrettable de devoir donner raison à l’UDC, c’est bien de ce côté-là du problème que le bât blesse. Pourquoi ? Parce que toute forme institutionnalisée de démocratie directe, en tant que concept, est insoluble dans le dispositif institutionnel fixé par les traités fondateurs de l’UE, lesquels prévoient un régime fondé sur l’émission de directives décidées par un conclave de personnes non-élues mais désignées pour gouverner, gouverner le plus loin possible de la vox populi…
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Michel Zimmermann, militant ouvrier, Genève
Bilatérales III : les motifs d’un probable changement de position du côté de la direction de l’USS
La menace formulée par le président de l’USS de ne pas soutenir le “nouveau” paquet d’accords conclu entre le Conseil fédéral et la Commission européenne en raison de la clause liée au montant des frais (hébergement et nourriture) accordé aux travailleurs détachés a pesé. En effet, dans les accords signés conjointement entre Ursula von der Leyen et le Conseil fédéral en décembre 2024, figurait le principe selon lequel le montant réservé au coût des défraiements accordés aux travailleurs issus d’un pays de l’UE et détachés en Suisse, devait se conformer aux coûts correspondants dans le pays d’origine.
Inacceptable ! Mais, nous dit-on du côté de la présidence de l’USS, une solution aurait été trouvée sur ce point, à l’interne, entre partenaires sociaux, pour palier ce problème et éviter toute concurrence déloyale. De son côté, l’UE, nous dit-on encore, respecterait cette exception helvétique même si, paradoxalement, la pratique des frais au sein de l’UE va à l’encontre du principe «un salaire égal pour un travail égal au même endroit». Pour les travailleurs, est-ce rassurant quand on sait qu’en toutes circonstances et dans tous les domaines, à commencer par celui de la “libre circulation des personnes (des travailleurs)”, l’UE applique le principe de “concurrence libre et non-faussée” ? Et puis, quelles garanties contre les effets néfastes pour les travailleurs de la pression toujours croissante dans l’UE et chez son partenaire, la Confédération helvétique, de la “libre circulation du moins-disant salarial” qui fait loi ?
Autre point d’achoppement : l’ouverture totale du marché de l’électricité. Là aussi, le président de l’USS Pierre-Yves Maillard avait déclaré s’y opposer. En 2002 déjà, la VPOD (SSP) avait lancé le référendum pour s’y opposer et la population avait suivi en la rejetant. Elle figure toujours telle quelle dans les accords. Que fera l’USS, passer l’éponge ou refuser la libéralisation et la privatisation totale du marché de l’électricité ? La question reste ouverte… MZ

